Un scandale aux ramifications politiques. Alors que les pratiques industrielles de Nestlé sont au cœur d’un rapport sénatorial publié ce lundi 19 mai, le rapporteur de ce travail, le sénateur socialiste de l’Oise Alexandre Ouizille, a dénoncé au micro de France Inter dans la matinée «la manière dont l’état a géré les choses» et «dissimulé» les agissements de la multinationale. «L’Elysée est au courant depuis 2022, le ministère de l’Industrie l’est depuis 2021, le rapport de l’inspection générale des affaires sociales a été non publié, c’est une décision ministérielle.»
La fraude en question ? L‘utilisation massive de traitements interdits tels que les ultraviolets et le charbon actif pour traiter les eaux de Nestlé (Perrier, Hépar, Contrex…) pendant des années. Le droit européen stipule pourtant qu’une eau minérale naturelle ne peut faire l’objet d’aucune désinfection ou traitement de nature à modifier ses caractéristiques. Dans le cas de Nestlé, qui dispose justement du label «eau minérale», ces traitements représentent ainsi une fraude de trois milliards d’euros en quinze ans, selon un rapport d’enquête des services de la répression des fraudes révélé par Mediapart.
Et si ces eaux sont traitées malgré tout, «ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’il y a un problème sur les eaux brutes, sur les eaux à la source», rappelle Alexandre Ouizille sur France Inter. Celles-ci sont «contaminées avec des bactéries», telles que l’E. coli, responsable d’infections d’origine alimentaires parfois graves.
Dissimulation
A ce jour, «il y a un contrôle sanitaire renforcé de la part des autorités qui fait en sorte que, sur ce qui est commercialisé, il n’y a pas de risque», explique encore Alexandre Ouizille auprès de France Inter. Mais il est régulièrement demandé à Nestlé de détruire des lots, contrôlés post-production, sans que l’on sache pour autant ce qu’il advient des lots en question. «On n’a pas de réponse claire», observe le socialiste. Ils représentent pourtant «deux millions de bouteilles il y a quelques années, il y a encore quelques mois des centaines de milliers…» selon le sénateur.
Enquête
Avant tout, Alexandre Ouizille dénonce l’implication du gouvernement et son silence : «L’Etat est entré dans une logique transactionnelle, [il] ne s’est pas comporté comme l’édicteur de la norme, garant de l’intérêt général qu’il doit être. L’Etat est entré dans une discussion avec Nestlé, il a dissimulé au grand public cette fraude.»
Pour ce rapport sénatorial, «on a demandé l’audition d’Alexis Kohler [l’ancien secrétaire général de la présidence, ndlr], qui a refusé de se présenter devant nous», précise par ailleurs Alexandre Ouizille, alors que Kohler «a rencontré à de multiples reprises» la présidente de Nestle Waters, Luriel Lienau. Interrogé par la presse en février, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier.
Plaintes d’associations
Au terme de six mois de travaux et plus de 70 auditions parfois tendues, d’anciens ministres, grands industriels et experts, la commission d’enquête a publié ce lundi son rapport sur les pratiques de Nestlé. Au cœur des interrogations des parlementaires, non seulement les méthodes de l’entreprise présente dans 185 pays, mais aussi les responsabilités des pouvoirs publics dans leur contrôle, et plus généralement la gestion des risques économiques, sanitaires et écologiques.
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Aujourd’hui, Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d’exploiter la source comme «eau minérale naturelle». Alors que des hydrogéologues mandatés par l’Etat ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard doit se prononcer d’ici au 7 août et, en attendant, a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration, estimant qu’il «modifie le microbiome de l’eau produite, en contradiction avec la réglementation en vigueur».
Une procédure judiciaire est en cours à Paris après des plaintes d’associations de défense des consommateurs pour «tromperie» visant Nestlé Waters et Sources Alma.