Les Etats-Unis seraient-ils en passe de devenir le pays le plus soucieux de la santé pulmonaire ? L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) annonce ce mercredi 7 février la mise en place d’une nouvelle norme de qualité de l’air bien plus ambitieuse pour réduire, d’ici à 2032, la pollution aux particules fines. Ces agents agressifs qui s’infiltrent dans les poumons et la circulation sanguine sont à l’origine de graves problèmes de santé, notamment chez les personnes vulnérables (enfants, femmes enceintes, personnes âgées).
Dans quelques années, le niveau de PM2,5 (les particules de 2,5 micromètres et moins, les plus dangereuses) ne pourra pas excéder le seuil annuel moyen de 9 microgrammes par mètre cube d’air. La nouvelle réglementation sera beaucoup plus sévère que l’ancienne : actuellement, la limite s’élève à 12 microgrammes, ce qui est déjà bien plus strict que le seuil fixé par l’Union européenne.
4 500 décès prématurés évités
Cette mesure représente «un pas en avant majeur pour mieux protéger les travailleurs, les familles et la population des effets dangereux et coûteux provoqués par la pollution des particules fines», se félicite le directeur de l’EPA, Michael Regan. Pour lui, cette nouvelle norme «s’appuie sur les meilleures données scientifiques disponibles et sauvera sans aucun doute des vies».
De fait, la mesure pourrait éviter 4 500 décès prématurés chaque année, en particulier dans les communautés défavorisées résidant à proximité des installations industrielles. Une étude publiée en avril dans le New England Journal of Medicine et citée ce mercredi 7 février par le Washington Post soutient que les Américains noirs et les Américains blancs à faibles revenus bénéficieraient bien plus d’une réduction des niveaux de PM2,5 que les Américains blancs aux revenus plus élevés. La décision de l’administration Biden pourrait également éviter la perte de quelque 290 000 journées de travail, tout en permettant d’économiser jusqu’à 46 milliards de dollars (42,7 milliards d’euros) de frais de santé.
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L’annonce est saluée par les associations environnementales et par celles engagées dans la prévention sanitaire. «La recherche scientifique sur ce type de pollution est tellement solide», déclare Abigail Dillen, présidente de l’ONG de droit de l’environnement Earthjustice, rappelant que les particules fines sont en cause dans «décès prématurés provoqués par des crises cardiaques» ou encore dans «l’asthme pédiatrique et adulte» et «bien d’autres maladies». «Nous ne pourrions pas être plus reconnaissants», ajoute-t-elle.
En revanche, les représentants des producteurs d’électricité, des cimentiers ou autres fabricants automobiles, gros émetteurs de particules fines et particulièrement mécontents, assurent que la production manufacturière américaine va se trouver menacée. En tout cas, leur activité sera forcément affectée : l’EPA prévoit que le respect de la règle plus stricte sur les émissions coûtera jusqu’à 590 millions de dollars par an à ces secteurs.
«Saper le progrès»
«Les normes vont entraver la relocalisation, entraînant le maintien de la production manufacturière à l’étranger, qui est moins [favorable à l’environnement] que la production manufacturière aux Etats-Unis», avait argué la National Association of Manufacturers il y a un an, quand la possibilité d’une telle réforme avait été évoquée. «Cela créé des obstacles à la construction des infrastructures dont nous avons besoin pour créer l’économie plus propre du futur, ajoute Martin Durbin, vice-président principal chargé des politiques à la Chambre de commerce des Etats-Unis, le plus grand lobby d’entreprises du pays. Qu’il s’agisse de routes et de ponts ou… d’installations solaires et éoliennes, le secteur manufacturier va être affecté.»
Un argumentaire rejeté par Patrice Simms, de l’ONG Earthjustice. Selon ce spécialiste, les lobbies industriels mettent en garde depuis des décennies contre les conséquences soi-disant dévastatrices des règles environnementales, bien que de tels dommages ne se soient jamais produits. «Nous avons entendu cela dans les années 70, lorsque les lobbyistes disaient que si nous exigions des pots catalytiques pour les voitures, l’industrie entière allait s’effondrer, explique-t-il. Et bien, devinez quoi ? Tout va bien. Il s’agit toujours de la même tactique habituelle qui consiste à essayer de saper le progrès.»
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Pour l’EPA, 99 % des comtés américains pourront appliquer la nouvelle norme d’ici 2032, en raison d’une tendance à la baisse en matière de pollution de l’air grâce à d’autres mesures. Les Etats pourront de leur côté obtenir des dérogations exceptionnelles en cas de feux de forêt, principales sources non industrielles des émissions de particules fines et dont la fréquence devrait augmenter avec le réchauffement climatique.
Cette annonce intervient quelques mois avant l’élection présidentielle durant laquelle Joe Biden devrait faire face son prédécesseur Donald Trump, qui a aboli des dizaines de normes concernant la pollution de l’air lors de son mandat. La question promet d’être un nouveau champ de bataille dans certains Etats clés.