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Pesticide

«Chaque jour qui passe, Guadeloupéens et Martiniquais s’empoisonnent» : le scandale du chlordécone à nouveau devant la justice

Devant la cour d’appel de Paris, les parties civiles contestent à partir de ce lundi, le non-lieu prononcé en 2023, avec l’espoir d’obtenir une réouverture de l’enquête.

Manifestation à Fort-de-France le 28 octobre 2023. (Thomas Thurar/AFP)
Publié le 22/09/2025 à 12h38

«Comme si on te demandait de monter l’Everest en courant contre les vents, en pleine neige» : Me Alex Ursulet résume le défi pour les parties civiles qui contestent ce lundi le non-lieu dans le scandale sanitaire du chlordécone devant la Cour d’appel de Paris. Objectif : relancer l’enquête judiciaire. «Chaque jour qui passe, Guadeloupéens et Martiniquais s’empoisonnent» à cause du chlordécone, pesticide au cœur d’un scandale sanitaire, a estimé Me Harry Durimel, autre avocat de parties civiles.

«Nous allons démontrer qu’il ne peut y avoir prescription, que l’infraction a été dissimulée, elle a été continue, et que chaque jour qui passe, Guadeloupéens et Martiniquais s’empoisonnent», a développé devant la presse Me Harry Durimel, dans les rangs des parties civiles, tout comme Me Jean-Claude Durimel, son cousin. L’ordonnance de non-lieu de janvier 2023, dont l’AFP a eu connaissance, repose notamment sur la difficulté de «rapporter la preuve pénale des faits dénoncés», «commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes».

Mais paradoxalement, les magistrates parisiennes qui ont établi ce non-lieu ont aussi reconnu dans leur ordonnance un «scandale sanitaire» et une «atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants» des territoires ultramarins concernés. Me Harry Durimel, juste avant le début de l’audience à huis clos, a dit aux journalistes attendre avec «avec gravité» mais aussi «beaucoup d’espoir» la décision de la chambre de l’instruction, qui devrait être mise en délibéré à plusieurs semaines. Et d’espérer une décision qui pourrait «donner le coup d’accélérateur» nécessaire pour obtenir «justice et vérité pour les Antilles».

Dossier tentaculaire

Me Olivier Tabone, autre avocat des parties civiles, garde également «beaucoup d’optimisme», misant sur «l’impartialité» de la chambre d’instruction pour qu’elle relance l’information judiciaire. Me Tabone précise que ce recours en appel «n’est pas la dernière carte à jouer», évoquant si nécessaire un recours devant la justice européenne.

Le chlordécone est ce pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon pendant 20 ans jusqu’en 1993. Le produit est pourtant classé depuis 1979 comme agent possiblement cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). «Ça fait bientôt 20 ans qu’on porte ce dossier à bout de bras, donc le courage ne nous manque pas», glisse Me Jean-Claude Durimel. Dès 2006, des premières plaintes pour administration de substances nuisibles ou empoisonnement, contre l’Etat ou contre X, émanent d’associations guadeloupéennes et martiniquaises de producteurs agricoles, consommateurs, défenseurs de l’environnement ou encore protection de la santé. Et une information judiciaire est ouverte en 2008 à Paris.

Parallèlement à ce volet pénal, ce dossier tentaculaire connaît aussi un volet devant la justice administrative, dans lequel l’Etat français a été reconnu responsable au printemps, avec obligation d’indemniser une dizaine de victimes. Mais la France a déposé un recours devant le Conseil d’Etat. Une proposition de loi a également été votée en première lecture à l’Assemblée en 2024 puis au Sénat en 2025, pour faire reconnaître à l’Etat français «sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques» causés par le chlordécone.