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Mobilisation

Chlordécone aux Antilles : plusieurs milliers de personnes manifestent contre «l’impunité»

Des associations et syndicats appelaient la population à se mobiliser en Guadeloupe et en Martinique, mais aussi à Paris, ce samedi pour témoigner de l’exaspération face au «désastre sanitaire et environnemental» engendré par le recours massif à cet insecticide ultratoxique. Ils redoutent la prescription dans ce dossier porté devant la justice.
Des milliers de personnes contre la chlordecone à Fort-de-France, Martinique, ce samedi. (LIONEL CHAMOISEAU/AFP)
publié le 27 février 2021 à 19h14

Des drapeaux rouge, vert et noir, symboles des indépendantistes martiniquais, quelques étendards syndicaux de Force ouvrière ou de la CTGM et un slogan, scandé en créole : «Pa pou ni preskripsyon ! Jijé yo ! Kondané yo! (Il ne doit pas y avoir prescription ! Jugez les ! Condamnez les !) ». Ce samedi matin, heure locale, à Fort-de-France (Martinique) mais aussi à Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe) et en métropole, à Paris, plusieurs milliers de personnes ont manifesté pacifiquement, à l’appel de collectifs citoyens, d’associations et de syndicats antillais, pour refuser «l’impunité» dans le «scandale» sanitaire et environnemental du chlordécone.

A l’origine de la colère et de l’indignation des Antillais ? La crainte d’un non-lieu dans ce dossier porté devant la justice après le dépôt, en 2006, d’une plainte pour empoisonnement à cet insecticide largement utilisé dans les bananeraies. C’est en tout cas ce qu’ont laissé entendre les juges d’instruction, en raison de la prescription des faits et de la disparition d’éléments de preuves, lors d’une audition des parties civiles fin janvier.

De quoi exaspérer une partie de la population martiniquaise et guadeloupéenne dans l’attente d’un procès et de réparations. «Nous avons de nouvelles informations qui nous permettent de contester cette prescription, a, lui, fait valoir l’avocat et maire écologiste de Pointe-à-Pitre, Harry Durimel, dans une interview accordée vendredi à l’Humanité. En droit, elle ne court qu’à partir du moment où la partie civile a connaissance du préjudice, et non de 1994, date de la dernière utilisation du chlordécone, comme la justice veut le retenir.»

Un quatrième plan de lutte jugé insuffisant

Autre motif d’insatisfaction : l’insuffisance des mesures et des moyens déployés dans le quatrième plan du gouvernement pour lutter contre les conséquences de la pollution par le chlordécone, utilisé massivement jusqu’à son interdiction en 1993. Présenté mercredi par le préfet, il prévoit d’allouer 92 millions d’euros sur six ans «pour réduire l’exposition des populations», mieux sensibiliser dès l’école aux risques liés à ce pesticide, «renforcer les connaissances» scientifiques ou «accompagner les professionnels affectés». Ce qui n’est pas jugé à la «hauteur du drame» du chlordécone, selon des élus antillais à l’instar du député martiniquais Serge Letchimy.

Massivement utilisé dans les Antilles pour lutter contre le charançon du bananier, le pesticide organochloré, dont les autorités connaissaient la dangerosité depuis la fin des années 60, s’est disséminé dans les rivières, les sols et même dans le milieu marin des deux départements ultramarins. Et trente ans après son interdiction, la molécule ultratoxique et ultra-persistante dans l’environnement – sur des siècles estime-t-on – a contaminé la chaîne alimentaire et plus de 90% de la population adulte antillaise, selon Santé publique France.

Comme elle est un perturbateur endocrinien et un cancérigène potentiel pour l’homme, elle aurait augmenté les risques de prématurité et de troubles du développement cognitif, mais aussi de cancers de la prostate dans les Antilles. Un «désastre sanitaire et environnemental», pour lequel un rapport d’information parlementaire a pointé la responsabilité de l’Etat français en novembre 2019.