La responsabilité de l’Etat est enfin reconnue dans le scandale du chlordécone. «Les services de l’Etat ont commis des négligences fautives en permettant la vente d’une même spécialité antiparasitaire contenant 5 % de chlordécone», sous divers noms, «en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus en cas de retrait de l’homologation», selon la décision du tribunal administratif de Paris rendue vendredi, et consultée par l’AFP ce lundi.
Massivement utilisé en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre le charançon du bananier jusqu’à son interdiction, en 1993, le chlordécone, dont les autorités connaissaient la dangerosité, s’est disséminé dans les rivières et les sols des deux départements ultramarins. Trente ans plus tard, la molécule ultratoxique, ultra-persistante dans l’environnement – et sur des décennies estime-t-on –, a contaminé plus de 90 % de la population adulte antillaise, selon Santé publique France
Le juge a toutefois rejeté les demandes d’indemnisation des plaignants pour préjudice d’anxiété, ce qui aurait permis de reconnaître les troubles psychologiques induits par la mise en contact avec cette matière nocive.
«Ce n’est pas tout à fait une victoire, mais c’est une grande avancée»
En mai 2020, centaines d’habitants des Antilles exposés au chlordécone avaient saisi le tribunal administratif de Paris pour faire reconnaître un préjudice d’anxiété, à l’image de ce qu’ont obtenu les victimes de l’amiante. Se sont associés à cette action collective plusieurs organisations, dont le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), l’association guadeloupéenne «Vivre» et le collectif «Lyannaj pou depolye matinik».
«Ce n’est pas tout à fait une victoire, mais c’est une grande avancée», s’est réjoui l’avocat qui représente les 1 240 requérants, Me Christophe Lèguevaques, auprès d’Outre-mer la 1ère. «Cela peut servir dans le dossier pénal du chlordécone. Alors que jusqu’à présent, on avait en face de nous des industriels ou des distributeurs de ce produit qui disaient : «je n’ai fait que distribuer un produit autorisé, donc vous ne pouvez rien contre moi», là, on a un tribunal qui nous dit que les autorisations des années 70 étaient illégales et donc sont susceptibles d’entraîner la responsabilité de l’État, mais aussi peuvent remettre en cause la responsabilité des distributeurs», explique-t-il à l’AFP.
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Les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Ces cancers de la prostate liés à l’exposition au chlordécone ont été reconnus comme maladie professionnelle en décembre, ouvrant la voie à l’indemnisation d’exploitants et ouvriers agricoles.
D’autres procédures sont actuellement en cours concernant l’utilisation de chlordécone aux Antilles, dont une plainte pour empoisonnement déposée il y a seize ans. Cependant, les deux juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris ont annoncé le 25 mars aux collectivités et associations plaignantes leur intention de clore ce dossier sans prononcer de mise en examen, l’orientant ainsi vers un possible non-lieu.