«Demandes irrecevables.» La cour d’appel de Rennes a débouté, ce mercredi 4 décembre, les requêtes des époux Marivain qui réclamaient une indemnisation au nom du «préjudice» subi par leur fille Emmy, morte d’un cancer le 12 mars 2022, après sept ans de lutte. Elle avait 11 ans et était atteinte d’une leucémie aiguë lymphoblastique B, maladie qui détraque le bon fonctionnement de la moelle osseuse et entraîne la présence de cellules anormales dans le sang. A la suite de son décès, le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) a reconnu le «lien de causalité» entre sa pathologie et «son exposition aux pesticides durant la période prénatale», c’est-à-dire durant la grossesse de sa mère, Laure Marivain, qui travaillait à l’époque dans le monde des fleurs. Une décision inédite pour une enfant décédée. En juillet 2023, ce Fonds a proposé une indemnisation de 25 000 euros à chacun des parents en «réparation de leur préjudice moral». Mais le couple, estimant cette indemnisation insuffisante au motif qu’elle ne prenait pas en compte les souffrances subies directement par Emmy durant sa maladie, s’était pourvu devant la chambre sociale de la cour d’appel de Rennes. Cour d’appel qui a donc finalement tranché en leur défaveur.
«Ajouter de la souffrance à la souffrance»
Créé en 2020, le FIVP a été mis en place pour «garantir la réparation forfaitaire des dommages subis par l’ensemble des personnes concernées dont la maladie est liée à une exposition professionnelle aux pesticides». Toutefois, dans leur arrêt consulté par Libération, les juges de la cour d’appel de Rennes expliquent avoir constaté «qu’aucune indemnisation n’est prévue pour la personne décédée» dans les textes constitutifs de ce Fonds, puisque l’indemnisation ne vise «qu’à compenser l’incidence des dommages corporels de l’enfant sur sa vie future». Un argumentaire qui reprend la position de l’avocate du FIVP, Géraldine Brasier Porterie, dans ce dossier. «La cour considère que ces textes n’indemnisent que les préjudices pour les enfants vivants, ce qui nous semble contraire à l’esprit des textes, contraire à l’idée d’une indemnisation pour les enfants victimes de l’exposition de leurs parents aux pesticides», blâme François Lafforgue, l’avocat de la famille.
Pour les parents d’Emmy, la décision est un coup de massue. «On est profondément accablés, c’est ajouter de la souffrance à la souffrance, a réagi Laure Marivain à l’occasion d’une conférence de presse organisée par l’association Phyto-victimes, soutien de la famille. C’est un fonds qui ne répare en rien. Il a un très joli nom, mais à quoi sert-il réellement ? On indemnise des enfants vivants. Mais par contre ceux qui sont décédés, autant dire qu’on n’en fait rien.» Le 10 octobre, lors de l’audience, cette ancienne fleuriste puis grossiste (jusqu’en 2011), avait témoigné de son désarroi et de sa détermination devant la cour d’appel de Rennes. «J’ai empoisonné ma fille […] Si l’on m’avait mise en garde, ma fille serait encore là, avait-elle exprimé, assurant vouloir «tout faire pour se battre jusqu’au bout» afin que la «culpabilité change de camp.»
«Aucune famille ne devrait vivre ce que la famille Marivain subit»
Outre une demande d’indemnisation au nom de leur fille, le couple Marivain souhaitait que la souffrance des autres «ayant droits», à savoir le frère, la sœur, et la grand-mère d’Emmy, soit également indemnisée par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Sur ce point, les juges de la cour d’appel de Rennes invitent la famille à faire une demande officielle auprès du FIVP – ce qui va être fait incessamment, précise François Lafforgue. «Nous devons désormais examiner à tête reposée la décision de la Cour et déterminer si nous décidons de former un pourvoi en cassation concernant l’indemnisation d’Emmy», prévient par ailleurs l’avocat.
Du côté de Phyto-victimes, on se dit «choqués» de la décision judiciaire. «Aucune famille ne devrait vivre ce que la famille Marivain subit actuellement, a déclaré Antoine Lambert, le président de l’association. Nous déplorons que ce fonds n’en soit pas un et nous souhaitons, en tant que membre du conseil de gestion du FIVP, que le barème de ces indemnisations soit revu au plus vite».