Menu
Libération
Décryptage

Etat «alarmant» de la Seine : faut-il s’inquiéter pour les épreuves de triathlon et et nage en eau libre des JO 2024 ?

L’ONG environnementale Surfrider Foundation alerte ce lundi 8 avril sur la mauvaise qualité de l’eau du fleuve parisien, où doivent se tenir plusieurs courses olympiques. De leur côté, la mairie de Paris et la préfecture d’Ile-de-France affichent leur confiance.
(Eric Broncard/Hans Lucas. AFP)
publié le 8 avril 2024 à 13h30

A près de 100 jours avant les Jeux olympiques de Paris, l’ONG Surfrider Foundation soulève un bémol. L’association de défense de l’environnement a mis en garde ce lundi 8 avril contre l’état «alarmant» de l’eau de la Seine, qui doit accueillir des épreuves de triathlon et nage en eau libre. Une alerte toutefois à nuancer car la situation devrait s’améliorer nettement d’ici à cet été. Libé fait le point.

Que disent les prélèvements de la Surfrider Foundation ?

Sur 14 prélèvements concernant la qualité bactériologique de l’eau que l’ONG a effectués entre fin septembre 2023 et fin mars 2024 sous les ponts Alexandre-III et de l’Alma, siège des futures compétitions, treize se révèlent «au-dessus voire très largement au-dessus» des seuils recommandés pour la baignade.

Au regard de la directive européenne «baignade» de 2006 et des barèmes des fédérations de natation et de triathlon, les concentrations de ces bactéries intestinales ne doivent en effet pas dépasser les 1 000 unités formant colonie (ufc) /100 ml en E. coli et 400 ufc /100 ml en entérocoques. Au-delà, l’eau est considérée comme impropre à la baignade. Les analyses de Surfrider, montrent pourtant des concentrations régulièrement supérieures à 2 000 ufc /100 ml pour E. coli et à 500 ufc /100 ml pour les entérocoques. Ces prélèvements ont été réalisés en partenariat avec le laboratoire Eau de Paris (le même que la mairie de Paris) et Analy-Co, «aussi bien à la suite de fortes pluies que par des journées ensoleillées».

D’autres analyses transmises début 2024 par la mairie de Paris avaient déjà montré qu’entre juin et septembre 2023, aucun des 14 points de prélèvement parisiens de l’eau n’avait atteint un niveau de qualité suffisant au regard des directives européennes. «Au vu des résultats, on a un regard assez pessimiste sur la qualité de la Seine pendant les Jeux olympiques cet été», avance Lucie Segalas.

Quels sont les risques pour la santé ?

Les mesures de l’organisme révèlent la présence de certains germes, notamment de deux bactéries indicatrices de contamination fécale, Escherichia coli (E. coli) et entérocoques, à des niveaux supérieurs aux normes définies par la Fédération internationale de natation. «On est deux à trois fois au-dessus des normes minimum impératives pour une pratique saine des athlètes pendant la saison», détaille Marc Valmassoni, Coordinateur de campagne chez l’ONG, sur France Inter.

Pour la Surfrider Foundation, les résultats sont, à l’instant T, «alarmants». L’ONG exprime ses «inquiétudes croissantes quant à la qualité des eaux de la Seine» et pointe les «risques» pour les athlètes, et au-delà pour les Franciliens, «à évoluer dans une eau contaminée». Lucie Segalas, cheffe de projet Sports et Environnement pour l’ONG, explique à Libération : «On observe une certaine constance dans la pollution bactériologique de la Seine. Et cette pollution peut donner lieu à des cas de maladies modérés, comme des gastro-entérites et des conjonctivites. On pourrait aussi faire face à des maladies plus graves, comme des staphylocoques dorés».

Quelle est la cause de cette pollution de la Seine ?

Sauf accident exceptionnel - comme une vanne laissée ouverte -, la provenance de ces pollutions bactériologiques dans le fleuve parisien est quasiment toujours la même : de fortes précipitations, comme cela a été le cas ces derniers mois, font déborder les égouts de la capitale. Les eaux usées ruissellent alors dans le fleuve, en charriant leur lot de pathogènes, provenant du système digestif humain, comme les entérocoques (causes d’infections intestinales) et surtout la bactérie E.Coli.

«Les averses sont le plus grand fléau pour la qualité des eaux, car via le ruissellement, toutes les bactéries peuvent se retrouver directement dans le fleuve», souligne Lucie Segalas.

Quelle réponse des autorités ?

Les Jeux olympiques se dérouleront du 26 juillet au 11 août 2024, soit en pleine période estivale. Logiquement, la météo devrait être moins propice à de telles précipitations, sauf gros orages d’été. C’est d’ailleurs la crainte principale des organisateurs des JO, qui se sont laissé la possibilité d’utiliser des «jours de contingence» en cas de fortes pluies, pour décaler les épreuves «d’un ou deux jours», a récemment rappelé Marc Guillaume, le préfet d’Ile-de-France, sur France Info.

De son côté, Pierre Rabadan, adjoint aux Sports et aux JO à la mairie de Paris, affirme à Libé n’être «pas du tout inquiet» par les résultats avancés par la Surfrider Foundation. Et encore moins surpris. «A partir de septembre, on ne fait plus de prélèvements, car ils n’ont aucun sens. Les conditions météo ne sont pas favorables et il n’y a pas d’ensoleillement : la qualité de l’eau est forcément moins bonne», soulève-t-il. «Il n’a jamais été question d’ouvrir la baignade dans la Seine toute l’année», «cela n’a pas de sens d’aller faire des prélèvements actuellement», a pour sa part objecté le préfet Marc Guillaume.

Surtout, mairie de Paris et préfecture de région, à la tête du comité de pilotage du plan dans lequel l’Etat et les collectivités ont injecté 1,4 milliard d’euros pour rendre le fleuve baignable, rappellent que cinq grands ouvrages devant permettre d’assurer une Seine propre l’été seront opérationnels «d’ici quelques semaines». La liste des aménagements est conséquente : rénovation de deux stations d’épuration, construction d’une station de dépollution, raccordement des bateaux et péniches au réseau d’assainissement, travaux sur les canalisations de la capitale et sur la perméabilité des rues et trottoirs.

Tout faire pour qu’il y ait moins d’eaux sales se déversant dans la Seine. L’intégralité de ce maillage sera opérationnelle d’ici à la fin mai. De quoi susciter, encore, la confiance de l’adjoint aux Sports d’Anne Hidalgo pour la période des olympiades, de juillet à août. «Nous avons énormément de travaux qui arrivent à échéance. Ces nouvelles infrastructures vont permettre d’assurer d’ici à l’été la qualité de l’eau de la Seine», prévoit Pierre Rabadan. Grâce à ces efforts, «la qualité de l’eau de la Seine sera au rendez-vous pour les JO», a aussi assuré la préfecture de région dans un communiqué. La Surfrider Foundation, elle, exprime «ses inquiétudes vis-à-vis du respect des délais de mise en service des ouvrages et des mises en conformité».

Les analyses quotidiennes de l’eau de la Seine par les autorités reprendront à partir du 1er juin. Sa qualité devrait dont très certainement s’améliorer d’ici aux Jeux olympiques, dont les épreuves dans le fleuve sont prévues les 30 et 31 juillet, ainsi que 5, 8 et 9 août. Reste à savoir si cela sera suffisant pour accueillir des nageurs le jour J.