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Décryptage

Jusqu’où peut aller l’explosion du prix du baril de pétrole?

Après avoir atteint un niveau jamais vu depuis plus de sept ans, le prix du Brent pourrait poursuivre sa hausse, même si les analystes divergent. Une augmentation qui s’ajoute aux difficultés dans les secteurs du gaz ou des composants électroniques.
A Paris, ce mardi. (Bertrand Guay/AFP)
publié le 18 janvier 2022 à 20h34

Les prix du baril de pétrole n’en finissent plus de monter. Ce mardi, le baril de Brent a même dépassé les 88 dollars. C’est plus qu’en 2014, quand il avait culminé à 86,74 dollars. Même tendance du côté du baril WTI : un pic à 85,74 dollars, dépassant le record d’octobre, qui avait là aussi dépassé les niveaux de 2014. Les analystes divergent quant aux suites possibles de ce mouvement haussier, qui pourrait avoir un impact concret. Tour d’horizon des questions que pose cette tendance.

Quelles sont les principales raisons de cette hausse ?

Elles sont nombreuses. «Cette situation est liée pour l’essentiel à des prises de position de fonds d’investissement, qui ont joué la hausse», affirme Philippe Chalmin, professeur d’histoire et d’économie à l’université Paris-Dauphine et président-fondateur du cercle Cyclope, le principal institut européen spécialisé dans les matières premières. Cette spéculation est motivée par plusieurs causes. En premier lieu, la géopolitique. Libye, Nigeria, Angola… Autant de pays producteurs à la situation intérieure instable, ce qui fait donc craindre une possible baisse de l’approvisionnement.

La situation sanitaire est également responsable de ces fluctuations. De manière presque contre-intuitive, comme l’explique Philippe Chalmin : «Il y a une corrélation entre les prix du pétrole et notre sensibilité à omicron. Lorsqu’il est considéré comme dangereux, il y a une peur des confinements et donc une consommation bien plus faible de produits provenant du pétrole et cela entraîne une baisse des prix. Lorsqu’il est considéré comme moins dangereux, à l’inverse, la consommation mondiale repart et donc les prix montent.» Les récentes annonces plutôt optimistes sur la fin du pic de la cinquième vague pourraient-elles participer à une poursuite de la hausse ?

Jusqu’où peut aller cette augmentation des prix ?

La question n’est pas tranchée par les analystes. Logique : les prix du pétrole jouent sur un certain nombre de facteurs, qu’il faut pondérer en fonction des temporalités et des contextes. Deux grandes tendances se dégagent malgré tout. Tout d’abord, une stabilisation en 2022, en dessous du pic atteint ce mardi. «La situation est plus tendue qu’on ne le pense, même si l’Opep + [qui réunit l’Opep, la Russie et d’autres pays producteurs, ndlr] a annoncé vouloir fournir en plus 400 000 barils par jour chaque mois», relève Philippe Chalmin, qui table comme nombre de ses collègues sur un prix qui se stabiliserait autour de 75 dollars cette année. Il rappelle que l’entrée sur le marché de pétrole en provenance des Etats-Unis, du Brésil ou encore du Canada, en plus des barils annoncés par l’Opep +, devrait créer un peu plus d’excédents.

Reste que d’autres prévoient une poursuite de la hausse. Pour la banque d’investissement Goldman Sachs, le prix du Brent pourrait dépasser les 90 dollars ce trimestre, 95 le suivant et même 100 dollars cet été. Dans la même veine, J.P. Morgan estime que les 125 dollars seront atteints cette année et les 150 dollars l’an prochain. Une barre symbolique : le record absolu du prix du Brent est de 146 dollars et remonte à août 2008, lors de la crise financière. Philippe Chalmin : «Cela reste malgré tout encore plus difficile de faire des prévisions en ce moment car nous avons des aléas sanitaire, climatique et géopolitique.»

Où en est-on avec le gaz et avec les pénuries de composants électroniques ?

Parmi les problèmes géopolitiques majeurs actuellement, la crise entre l’Ukraine et la Russie a un effet direct sur les marchés de l’énergie. Ce bras de fer entraîne une crainte sur l’approvisionnement européen du gaz en provenance de la Russie. «La crise énergétique actuelle, ce n’est pas celle du pétrole, mais celle du gaz», rappelle Philippe Chalmin. Mais, comme pour les prix de l’électricité, ceux du pétrole devraient augmenter car il y aura mécaniquement une demande accrue de diesel et de fioul pour remplacer un gaz naturel devenu trop cher aux yeux des consommateurs.

Côté composants électroniques, dont la crise a marqué l’année 2021 : selon la Fédération des industries allemandes (BDI), les pénuries devraient coûter 100 milliards d’euros au secteur en 2021 et 2022. «Malgré des carnets de commandes pleins, le manque de puces électroniques, de composants et de matières premières continuera à affecter la production pendant une longue période», affirme Siegfried Russwurm, le président de la BDI.

Une crise qui a particulièrement touché l’industrie automobile : l’Union européenne a enregistré l’an dernier son chiffre de ventes de véhicules neufs le plus bas depuis le début de la série statistique en 1990, avec 9,7 millions de véhicules écoulés. «Cette chute est la conséquence de la pénurie de semi-conducteurs qui a freiné la production automobile pendant toute l’année, et plus particulièrement au second semestre», a expliqué l’Association des constructeurs européens. A ces difficultés propres à l’industrie automobile pourraient s’ajouter celle d’un prix de l’essence explosant dans le sillage de celui du pétrole.