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Tourisme de masse

Les paquebots bannis du cœur de Venise pour sauver la cité du «péril»

Après plusieurs rétropédalages, le gouvernement italien est enfin déterminé à interdire l’accès des grands navires de croisière à une partie de la lagune de Venise, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco mais menacée.
Un bateau de croisière à Venise. (Rambaud /ANDIA)
publié le 16 juillet 2021 à 19h22

Bientôt la fin du bal des paquebots devant la place Saint-Marc ? La promesse a échoué tant de fois à se concrétiser qu’on n’y croyait plus. Mardi, pourtant, le gouvernement italien semble enfin avoir acté l’interdiction des bateaux de croisière à Venise. Une demande formulée par les Vénitiens, diverses ONG et même l’Unesco depuis une dizaine d’années pour sauvegarder la beauté du site menacé par le tourisme de masse.

A compter du 1er août, les plus gros bateaux de croisière ne pourront plus faire de halte dans le bassin bordant la mythique place Saint-Marc, ni remonter ensuite le canal de la Giudecca. C’était jusqu’ici le trajet au cœur de Venise emprunté par tous les paquebots entrant dans la lagune pour déverser des millions de touristes par an.

Plus précisément, l’interdiction concernera les navires de plus de 25 000 tonnes ou de plus de 180 mètres de long ou ceux qui dépassent de l’eau de plus de 35 mètres ou encore ceux dont les émissions contiennent plus de 0,1 % de soufre (la norme internationale est fixée à 0,5 %). Ainsi, seuls les plus petits bateaux, d’environ 200 passagers, pourront continuer à accoster. Une règle très restrictive et courageuse : les croisières génèrent 400 millions d’euros par an de revenus au niveau local. Le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, y voit «une étape importante pour la préservation de la lagune vénitienne».

Menace de l’Unesco

Ce décret-loi a été validé mardi en conseil des ministres, trois jours avant l’ouverture de débats à l’Unesco guettés de près par l’exécutif italien. Car Venise est un joyau inscrit depuis 1987 au patrimoine mondial, mais la ville pourrait bientôt rejoindre une liste moins prestigieuse. En juin, l’Unesco a menacé de placer la Cité des Doges sur la liste du patrimoine en péril, qui recense les sites menacés. Le verdict est attendu d’ici quelques jours. Le Comité du patrimoine mondial, qui se réunit à partir de ce vendredi et jusqu’au 31 juillet à Fuzhou (Chine), est chargé de trancher.

Pourquoi la situation de Venise est-elle si inquiétante ? La capitale de la Vénétie est régulièrement fragilisée par des inondations, dont la fréquence et l’intensité sont renforcées par le changement climatique. Des digues mobiles ont récemment été mises en service pour tenter de protéger la ville des «acqua alta». L’amarrage de géants des mers au cœur de la ville n’arrange rien. L’Unesco s’en préoccupe publiquement depuis 2014, même si les inquiétudes sont présentes en interne depuis une trentaine d’années.

«La présence de navires à très fort tonnage dans une ville de gondoles, de vaporettos et de palazzi cause une perte d’authenticité et d’intégrité du bien. Cela n’a rien à faire dans le paysage et montre que Venise est sous la pression d’un tourisme de masse. Par ailleurs, le passage des grands navires génère un problème écologique majeur. Ils polluent l’air et l’eau, abîment les fonds marins et altèrent l’écosystème de la lagune», résume-t-on du côté de l’Unesco, contactée par Libération.

Venise est la troisième ville portuaire européenne la plus polluée par les émissions des bateaux de croisières, selon une étude de l’ONG Transport & Environment. Par exemple, en 2017, les 68 plus gros navires de tourisme qui ont traversé la ville ont relâché 27 tonnes d’oxydes de soufre, connus pour acidifier les environnements terrestres et aquatiques.

Dans son rapport de juin, l’Unesco note que les tentatives précédentes de chasser ces engins polluants n’ont eu «aucun effet concret» faute d’aménagements adaptés pour accueillir les navires dans des ports à proximité. Le drame du Costa Concordia, en 2012, puis l’accident de paquebot MSC Opera dans le canal de la Giudecca (en juin 2019), ont en effet débouché sur l’interdiction des gigantesques bateaux à Venise en 2013, 2017 et 2019. A chaque fois, ce fut un échec.

Rediriger vers d’autres ports

Cette année, le ministre de la culture et du patrimoine Dario Franceschini est revenu à la charge pour éviter à tout prix le statut «en péril» de l’Unesco, qui serait un «déshonneur» pour lui. Si rien n’est fait, les sites inscrits sur cette liste peuvent à terme être exclus du patrimoine mondial. Un déclassement qui pourrait nuire à l’image de l’Italie et au tourisme.

Le mois dernier, après des mois de pandémie sans immeubles flottants, le retour des croisières a aussi ravivé la mobilisation des ONG. Des artistes internationaux tels que le chanteur Mick Jagger, les réalisateurs Wes Anderson, Francis Ford Coppola ou encore l’actrice Tilda Swinton ont même tenté de faire pression dans une lettre ouverte adressée au président italien Sergio Mattarella, au Premier ministre Mario Draghi et au maire de Venise pour demander un «arrêt définitif» de la circulation des navires de croisière, raconte le Guardian.

Cette fois-ci est-elle la bonne pour Venise ? L’exécutif italien le jure. Les conditions sont aujourd’hui plus favorables. Dès début août, les bateaux devront s’amarrer dans le port industriel de Marghera, à une dizaine de kilomètres de la Sérénissime. Des pontons pour paquebots ont commencé à être installés. Le gouvernement italien va débloquer 150 millions d’euros pour poursuivre l’aménagement du port. Des aides compenseront les pertes des acteurs du tourisme. «Un bon compromis», a réagi le président de l’association des entreprises touristiques de Vénétie, Confturismo Veneto.

Seulement, ce terminal ne doit être que provisoire. Il permet bien d’éviter le centre de Venise mais il reste situé dans une zone fragile. Gare à ne pas simplement déplacer le problème. L’Unesco insiste : il faut trouver «de toute urgence» une solution à long terme qui tiendrait les paquebots à distance, en dehors de la lagune. L’idéal serait de rediriger les bateaux «vers des ports plus appropriés de la région», préconise l’Unesco dans son rapport de juin. Reste à voir ce que le gouvernement italien décidera. Un «concours de bonnes idées» a été lancé fin juin pour imaginer une solution viable.