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Libération
Mauvaise surprise

L’ONG Agir pour l’Environnement met en évidence des dizaines de fragments de six sortes de plastiques dans des bouteilles de Coca-Cola

Epaulée par deux laboratoires d’analyse, l’association a disséqué le contenant de la célèbre boisson à bulles et trouvé la présence de micro et nanoparticules de plastique. L’un des polymères détectés, le polychlorure de vinyle, ne figure pourtant pas sur l’emballage des bouteilles.
Rien qu’en France, environ 950 millions de bouteilles sont vendues chaque année. (Lionel Bonaventure/AFP)
publié le 22 août 2024 à 6h00

Des fragments de plastique engloutis à chaque gorgée de soda. Ce jeudi 22 août, l’association Agir pour l’Environnement publie une étude révélant la trace de dizaines de particules de plastiques à l’échelle micro et nanométrique dans les bouteilles au logo rouge de Coca-Cola Original. Un tempo qui tombe inopportunément pour le géant américain, lui, le partenaire officiel des Jeux olympiques et paralympiques de Paris actuellement pointé du doigt pour son greenwashing et ses engagements de façade sur la réduction du plastique à usage unique durant la période des épreuves. Non sans sarcasme, le rapport de conclusions du travail de l’ONG s’intitule «Coca-Cola, champion olympique des microplastiques ?». En collaboration avec deux laboratoires spécialisés dans la recherche de polymères, elle a réussi à identifier six sortes de plastiques différents dans les contenants d’un litre de la boisson. Rien qu’en France, environ 950 millions de bouteilles sont vendues chaque année, selon l’association.

Parmi les six types de microparticules retrouvées dans le breuvage à bulles, les polymères détectés étaient majoritairement du polyéthylène (PE), du polytéréphtalate d’éthylène (PET) et du polychlorure de vinyle (PVC) – trois substances utilisées aussi, par exemple, pour les films ou les flacons. Le problème, outre l’exposition problématique à des particules de plastique, c’est que seuls le PE et le PET figurent sur l’emballage. «Rien n’indique que ces bouteilles contiennent du polychlorure de vinyle, et à raison, puisque les fabricants de cette boisson ont signé en 2019 le pacte national sur les emballages plastiques, qui entend réduire au maximum le recours à ce polychlorure… Ce PVC n’a rien à faire dans nos résultats», commente Stephen Kerckhove, le directeur de l’association, qui précise avoir envoyé un courrier mardi 20 août à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et à la firme Coca-Cola pour obtenir des explications. «En termes de transparence de la composition des produits, on n’y est clairement pas, enchérit Jean-François Ghiglione, directeur de recherche au CNRS et membre actif des négociations sur le traité international contre la pollution plastique, qui n’a pas participé à l’étude. La communication de l’entreprise a toujours été de dire qu’il n’y avait que du PE et du PET.» Contactée par Libération, la firme n’a pas donné suite. «Nous nous portons garants de la sécurité de nos produits, a-t-elle en revanche réagi ce jeudi auprès de l’AFP, estimant que d’après les agences sanitaires, il n’existe aujourd’hui aucune preuve scientifique suggérant que l’ingestion de particules de plastique est préoccupante pour la santé humaine».

Des nanoparticules susceptibles d’atteindre les organes

La découverte de PVC n’est évidemment pas la seule mauvaise surprise. Pour réaliser des analyses «au plus près des conditions de l’usage réel» de consommation de la boisson, Agir pour l’Environnement a procédé à trois scénarios d’ouverture de bouteille, c’est-à-dire en ouvrant une fois, dix fois, et vingt fois le bouchon en plastique. Et les résultats sont éloquents. «L’ouverture à de multiples reprises, comme en usage normal […] génère non seulement une quantité croissante de microparticules de plastique, mais multiplie aussi le nombre de polymères différents présents et donc leurs potentiels effets néfastes sur la santé», rend compte l’étude. A la première ouverture, les laboratoires ont dénombré 4 microparticules de plastiques dans la bouteille d’un litre de Coca-Cola Original. Après dix ouvertures, la moyenne est montée à 28 microparticules par litre, et après vingt ouvertures consécutives, à 44 par litre. «Le bouchon s’abîme par abrasion et laisse échapper encore plus de plastique, éclaire Jean-François Ghiglione. La seule autre situation qui crée ce phénomène, c’est lorsqu’une bouteille en plastique se trouve au soleil, car les ultraviolets sont également capables de déclencher la libération de particules de plastique supplémentaires».

Lors de ses analyses, l’association a aussi retrouvé des nanoparticules (inférieures à un micromètre). Elle n’avait «pas les moyens scientifiques» pour précisément les quantifier et identifier la nature du plastique, précise Stephen Kerckhove. Mais elle a repéré des «nanoparticules dès la première ouverture du bouchon», de diamètre moyen d’environ 208 nm (diamètre qui augmente à mesure que la bouteille est fermée, puis réouverte). «Plus ces corps étrangers sont petits, plus ils sont susceptibles de traverser nos barrières biologiques pour entrer dans nos organes, dans notre foie, nos poumons, notre cerveau, explique Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et spécialiste des emballages (qui n’a pas contribué à l’étude). Et aucun être vivant ne dispose des outils biologiques pour se débarrasser de ces polluants qui perturbent inexorablement le bon fonctionnement des organes où ils s’accumulent. Comme de très nombreuses études scientifiques indépendantes en attestent de par le monde.» Agir pour l’environnement a d’ailleurs transmis son travail à la Direction générale de la santé et l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire.

Des promesses non tenues

En 2022, l’ONG avait publié une première étude démontrant la présence de plastiques dans 78 % des bouteilles d’eau qu’elle avait fait analyser. Dans ce nouveau volet «soda», l’association a également disséqué le Schweppes Indian Tonic, avec les mêmes résultats que pour le Coca-Cola Original (présence de nanoparticules et identification de quatre à cinq polymères parmi les microparticules), mais sans la problématique du PVC. La marque Schweppes est exploitée dans plus de 150 pays par The Coca-Cola Company. «Cette entreprise tente de se construire une image plus responsable en faisant des promesses de déplastification qu’elle ne tient pas, en ne respectant pas le devoir de vigilance qui l’oblige, déplore Nathalie Gontard. Ces bouteilles relèvent pourtant d’un usage du plastique totalement non essentiel. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle, alors que l’innocuité des micro et des nano-particules libérées dès la production de ces bouteilles n’a jamais été démontrée et qu’elles compromettent les conditions de vie des générations futures en continuant à se fragmenter pendant des centaines d’années ?»

Dans un article paru en avril dans la revue Science Advances, une équipe internationale de chercheurs a confirmé que la firme était la marque qui générait le plus de déchets plastiques dans l’environnement au monde. Sur les presque 2 millions de déchets récoltés pour leur documentation entre 2018 et 2022, 11 % étaient étiquetés Coca-Cola. Bien loin devant le reste du top 5 composé de PepsiCo (5 %), Nestlé (3 %), Danone (3 %) et Altria (2 %). «On touche ici à la responsabilité élargie des producteurs, souligne Jean-François Ghiglione. Le plastique des bouteilles, c’est à la fois un risque pour la santé humaine, mais aussi une menace pour la biodiversité et un véritable ennemi dans la lutte contre le réchauffement climatique.»