En temps de disette budgétaire et d’urgence climatique, comment imaginer de nouveaux moyens de financer la transition écologique ? Le vendredi 20 septembre, les jeunes activistes de Fridays for Future (FFF), mouvement fondé par Greta Thunberg, ont fait grève dans quatre villes de France pour porter une revendication : «taxer les grands voyageurs aériens afin de financer le train». Une idée également au cœur de deux rapports, l’un du Réseau action climat (RAC) et l’autre du réseau Rester sur Terre (à venir). Les organisateurs des marches rappellent : «L’avion est en moyenne 20 à 50 fois plus émetteur en CO2 que le train. Pourtant, un billet de train est en moyenne 2,6 fois plus cher qu’un billet d’avion pour la même destination.» Le mouvement propose donc une taxe pour rééquilibrer les prix, au profit du moyen de transport le plus «bas carbone».
Pourquoi s’attaquer au secteur aérien, qui représente environ 3 % des émissions mondiales et 7% des émissions françaises de CO2 ? «C’est un secteur extrêmement polluant en France, et utilisé par une minorité de gens», répond Ismaël Paillard, de Fridays for Future. Les 20% des ménages les plus aisés concentrent ainsi 42% des émissions de l’aérien, très majoritairement pour leurs loisirs. «Depuis les années 90, l’aérien est un des rares secteurs à ne pas avoir entrepris de baisser ses émissions, relève Alexis Chailloux, responsable aérien et ferroviaire du RAC. Le trafic international est revenu aux niveaux précovid et l’industrie continue à tabler sur une croissance de 2 % par an, ce n’est pas compatible avec l’accord de Paris» qui vise à limiter le changement climatique à + 1,5°C. Les émissions pourraient ainsi tripler d’ici à 2050. Selon l’Ademe, qui a étudié en 2022 plusieurs scénarios pour la transition écologique du secteur, le seul levier efficace à court terme serait «la maîtrise et réduction du trafic». Or, les prix pratiqués n’incitent pas à la modération.
«Les passagers les plus riches et très mobiles»
Les ONG environnementales regrettent que l’aviation soit exonérée de taxes sur le kérosène et qu’elle n’applique pas de TVA sur les vols internationaux. Comme l’idée d’une contribution à l’échelle européenne, voire internationale, patine, plusieurs pays ont déjà pris les devants. En France, il existe depuis 2005 une «taxe Chirac» sur les billets, enrichie en 2020 d’une éco-contribution proportionnelle à la distance parcourue et à la classe choisie par le passager (1,50 euro pour un vol en Europe et à 3 euros pour un vol international en classe économique, avec un maximum de 18 euros en classe affaires). Bien moins qu’au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Pays-Bas. «Cela ne génère pas de recettes importantes pour l’Etat et cela ne dissuade pas de prendre l’avion», regrette Alexis Chailloux, qui rêve de voir cette taxe relevée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 attendu sous peu. C’est ce qu’avait aussi demandé la Convention citoyenne pour le climat en 2020, en recommandant, par exemple, 60 à 400 euros d’écocontribution pour un vol de plus de 2 000 kilomètres en fonction de la classe choisie.
L’idéal serait encore, pour le RAC et Fridays for Future, de taxer plutôt les grands voyageurs aériens, une voie jugée plus juste car plus progressive. «La taxe que nous proposons s’adapterait à la fréquence et à la longueur des vols aériens. Elle augmenterait progressivement à mesure que la personne voyage. Les passagers les plus riches et très mobiles contribueraient donc à financer un transport plus vert dans une logique de justice sociale et climatique», développe Fridays for Future. Très concrètement, pour un premier vol dans l’année, l’écocontribution serait nulle ou faible, mais à chaque vol supplémentaire, elle deviendrait plus importante. Ainsi, pour quatre ou cinq vols dans l’année, la surtaxe grimperait à plusieurs centaines d’euros par billet. «Le but n’est pas de toucher de manière indifférenciée tous les ménages, qui ont parfois besoin de faire exceptionnellement des vols internationaux, mais de pénaliser ceux qui font le plus d’allers-retours», ajoute Ismaël Paillard.
Vers une « taxe grands voyageurs » ?
Dans un rapport paru ce jeudi 26 septembre, le RAC entend chiffrer le coût d’une telle mesure en France. Elle permettrait de baisser les émissions du secteur aérien de 13,1%, tout en faisant peser l’essentiel de l’effort sur les passagers les plus réguliers et en générant 2,5 milliards d’euros de recettes. «L’ambition de ce rapport était d’avoir une évaluation qui ne se borne pas à la question climatique mais qui intègre la question de la justice sociale», a déclaré à Alexis Chailloux. Les solutions technologiques comme les carburants de synthèse ou les biocarburants «sont insuffisantes à elles seules pour respecter l’accord de Paris, il est impératif de réduire dès maintenant le trafic» ajoute-t-il.
La création d’une «taxe grands voyageurs» fonctionnerait à l’inverse du système de fidélités des «miles», explique le document : plus un passager prend l’avion, plus le prix unitaire d’un billet augmente. «L’ambition de ce rapport était d’avoir une évaluation qui ne se borne pas à la question climatique mais qui intègre la question de la justice sociale», a déclaré à Alexis Chailloux. La taxe contribuerait également, selon le RAC, à «sécuriser la relance ferroviaire».
Mais serait-il vraiment possible de flécher de telles nouvelles recettes vers le train pour faire baisser le prix des billets, comme le demande Fridays for future ? Selon Alexis Chailloux, une éventuelle «taxe grands voyageurs» pourrait sans difficulté suivre le même chemin que l’écocontribution Chirac, c’est-à-dire être reversée à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France. Ces recettes pourraient permettre de nouveaux investissements, assure le spécialiste du RAC : «Cela pourrait aider à financer davantage de trains de nuit et à augmenter la cadence des trains sur le réseau. Or, plus l’offre ferroviaire est importante et plus le prix des billets de train baissera.»
Parmi d’autres propositions figurent également l’interdiction des jets privés, la suppression des vols courts ou l’instauration d’un quota d’un aller-retour par an et par personne. Le transport aérien est utilisé «surtout par les personnes aisées, urbaines, diplômées et plutôt jeunes pour partir en vacances», souligne le Réseau Action Climat, qui compte notamment le WWF, Greenpeace et Les amis de la Terre parmi ses membres. Les 20% des ménages les plus aisés concentrent ainsi 42% des émissions de l’aérien, très majoritairement pour leurs loisirs.
Mise à jour : le 26 septembre avec le rapport du RAC.