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Libération
Plastique ou postiche ?

Négociations sur la pollution plastique mondiale : «Vous ne pouvez pas empêcher la baignoire de déborder tant que vous n’avez pas fermé le robinet»

Des représentants de 175 pays et des industriels de la pétrochimie se retrouvent à partir de lundi 13 novembre au Kenya pour tenter de négocier un traité mondial inédit sur les déchets plastiques.
De jeunes membres d'une ONG kényane collectent des déchets plastiques pour les transformer en objets décoratifs tels que des chaises, des bureaux ou des pots dans le quartier de Kuwindaà Nairobi, le 26 août. (Gerald Anderson /AFP)
publié le 12 novembre 2023 à 11h31

Un grand pas ou un grand vide ? Rassemblés du lundi 13 au dimanche 19 novembre au siège du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), à Nairobi au Kenya, les représentants de 175 pays doivent négocier un traité mondial, qui viserait à enfin mettre fin aux déchets plastiques. D’un côté, l’ambition d’un traité contraignant et de mesures concrètes, souhaitées par de nombreux Etats. De l’autre, des industriels du plastique qui tentent de ralentir les discussions.

L’an dernier, les pays s’étaient mis d’accord pour finaliser d’ici à la fin 2024 un premier traité mondial pour lutter contre le fléau des déchets plastiques. Déjà réunis à deux reprises, notamment en mai à Paris où ils avaient appelé à ne surtout pas se contenter du recyclage, ces 175 Etats ont, cette fois, l’opportunité de débattre pour la toute première fois d’un projet de traité, publié en septembre, qui dessine un certain nombre de voies permettant de résoudre le problème du plastique.

Si un large consensus existe sur la nécessité d’un traité, les positions divergent entre les politiques défendues par les différents pays, les défenseurs de l’environnement et les industriels du plastique. «C’est la grande bataille à laquelle nous allons assister maintenant», explique Eirik Lindebjerg de l’ONG WWF, qui fera partie des milliers de participants aux négociations.

Plusieurs pays et des ONG de défense de l’environnement plaident en faveur de l’interdiction des produits plastiques à usage unique et de règles plus strictes, entre autres mesures dites à «ambition élevée». Les industriels et les principaux pays producteurs militent de leur côté pour le recyclage et une meilleure gestion des déchets. Selon la direction que prendront les négociations, le traité pourrait être un pacte pour la nature ou «un accord confortable avec l’industrie du plastique», a averti en octobre l’envoyé spécial des Nations unies pour l’océan, Peter Thomson.

«Fermer le robinet» vs «Idéologie de l’émotion»

En amont des discussions à Nairobi, une soixantaine de pays ont exprimé leurs inquiétudes face à l’augmentation de la pollution plastique dans le monde. Ils ont appelé à «des dispositions contraignantes dans le traité pour restreindre et réduire la consommation et la production» de plastique. Responsable de la campagne mondiale de Greenpeace contre le plastique, Graham Forbes, affirme que le traité sera un succès ou un échec «en fonction de la manière dont il limitera la production de plastique en amont», ajoutant : «Vous ne pouvez pas empêcher la baignoire de déborder tant que vous n’avez pas fermé le robinet».

A l’opposé, de nombreux pays – notamment les Etats-Unis, la Chine, l’Arabie saoudite et des membres de l’Opep – sont réticents à envisager une réduction de la production. L’EPS Industry Alliance, un lobby nord-américain qui défend les entreprises de polystyrène expansé (fréquemment utilisé aux Etats-Unis dans la restauration à emporter pour les gobelets), affirme de son côté qu’il n’y a pas eu suffisamment «d’examen scientifique indépendant» du traité, mettant en garde contre les «conséquences inattendues» de certaines propositions. «Il existe une énorme quantité de rhétorique autour du plastique qui est truffée d’idéologie de l’émotion», soutient la directrice exécutive de l’association, Betsy Bowers, qui assistera aux négociations en tant qu’observatrice.

Ecologie et santé publique mondiale

L’enjeu est de taille. Issus de l’industrie pétrochimique, le plastique a envahi tous les écosystèmes et tous les organismes. Des déchets plastiques de toutes tailles se retrouvent déjà au fond des océans et au sommet des montagnes. Des microplastiques ont été détectés dans le sang ou le lait maternel. Le plastique joue aussi un rôle dans le réchauffement climatique : de sa production à la fin de son cycle d’usage, il pesait en 2019 pour 3,4 % des émissions mondiales, part qui pourrait plus que doubler d’ici à 2060 selon l’OCDE.

Un enjeu d’autant plus important que la pollution plastique devrait s’aggraver. La production annuelle a plus que doublé en vingt ans pour atteindre 460 millions de tonnes, et elle pourrait tripler d’ici 2060 si rien n’est fait. Or, seulement 9 % des plastiques sont recyclés, et une partie d’entre eux ne sont pas recyclables.

La réunion de Nairobi est la troisième des cinq sessions d’un processus accéléré visant à conclure les négociations l’année prochaine. Après la capitale kényane, les négociations doivent se poursuivre en avril 2024 au Canada pour se conclure en Corée du Sud en fin d’année 2024. En octobre, les Fidji ont exhorté les nations à agir pour conclure le traité, affirmant que les petites nations insulaires avaient besoin d’actions plus rapides.

Lors des dernières négociations à Paris en juin, des défenseurs de l’environnement ont accusé les grands pays producteurs de plastique de faire traîner en longueur les discussions. Cette fois-ci, les sessions ont été prolongées de deux jours. Mais cela sera-t-il suffisant ? Pour Eirik Lindebjerg de la WWF, «S’ils ne parviennent pas à progresser ici (à Nairobi), 2024 sera très intense s’ils veulent parvenir à un traité significatif d’ici la fin» de l’année.