Eau de Paris perd une première bataille. Le tribunal administratif de Melun a rejeté ce vendredi 17 mai pour «défaut d’urgence» la requête formulée par l’établissement public contre le projet de nouveaux forages pétroliers porté par la société française Bridge Energies. Cette petite compagnie est propriétaire depuis 2009, et jusqu’en 2034, de la concession d’hydrocarbures de Nonville, à 5 kilomètres environ au sud de la forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne).
Comme le dévoilait Libération dans une enquête publiée le 5 mai, l’entreprise a obtenu, le 30 janvier, par la voie d’un arrêté préfectoral, un feu vert officiel pour «l’ouverture de travaux miniers» destinés à l’installation de deux puits supplémentaires sur la plateforme actuelle. Des travaux jugés dangereux par Eau de Paris, la régie publique chargée du prélèvement, du traitement et du transport de l’eau potable vers la capitale, «au regard des risques de pollution» des eaux souterraines dans le secteur. Car ces puits de Nonville doivent être forés à plus de 1 500 mètres de profondeur et traverser la nappe phréatique qui alimente les robinets de 180 000 Franciliens, dont une majorité de Parisiens.
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Le 10 avril, Eau de Paris avait donc déposé un recours demandant l’annulation de l’arrêté préfectoral. Et lancé, dans le même temps, une procédure d’urgence (dite «référé suspension») pour éviter tout démarrage du chantier avant que l’affaire ne soit tranchée sur le fond (ce qui ne sera pas fait avant au moins plusieurs mois). C’est sur ce second point, prioritaire, que la juridiction administrative vient de statuer. «Dans la présente affaire, le juge a relevé que les travaux de forage autorisés par l’arrêté du préfet de Seine-et-Marne ne seraient pas susceptibles de débuter avant le mois de mai 2025, en raison de l’indisponibilité actuelle d’une partie du matériel nécessaire à leur réalisation, a ainsi justifié le tribunal administratif de Melun dans un communiqué. Compte tenu de l’importance de ce délai, il a estimé que la demande de suspension présentée par Eau de Paris n’était pas justifiée par une situation d’urgence […] Après cette décision provisoire, le tribunal rendra un jugement “au fond” ultérieurement, au terme d’une instruction approfondie.»
A l’instar du groupe canadien Vermilion à la Teste-de-Buch en Gironde, Bridge Energies entend poursuivre le développement de son activité comme que l’y autorise la loi Hulot de 2017 (l’arrêt de l’extraction d’hydrocarbures en France n’étant fixé qu’à fin 2039). Le territoire sur lequel se trouve sa concession abrite des sites naturels protégés, dont la rivière du Lunain, située à environ 250 mètres de l’infrastructure pétrolière et classée Natura 2000 pour la protection de la faune et de la flore sauvages. La mise en place de deux nouveaux puits, réclamée depuis l’été 2022 par la société à la suite du rejet de sa demande initiale (elle souhaitait à l’origine forer dix puits supplémentaires), lui permettrait de doubler sa production actuelle. Actuellement, la plateforme pétrolière est composée de trois puits vieillissants, dont un seul tourne à plein régime, affirme la direction de l’entreprise.
Pas de lancement du chantier avant la décision sur le fond
Après cette première décision du tribunal administratif, rien n’empêche donc légalement parlant Bridge Energies de lancer ses forages. Même si la compagnie encourt le risque que les travaux soient subitement interrompus, puisque le jugement sur le fond du dossier peut encore annuler, in fine, l’autorisation délivrée au début de l’année par le préfet de Seine-et-Marne, Pierre Ory. Jusqu’ici la compagnie pétrolière a toujours assuré que le chantier, qui nécessite une enveloppe budgétaire d’environ 6 millions d’euros selon ses calculs, ne démarrerait pas avant le rendu de ce jugement capital. «Bridge Energies est un opérateur prudent et avisé, a soutenu l’avocate de la société, Charlotte Michellet, lors l’audience dédiée au référé suspension qui s’est tenue à Melun le 26 avril. Il est certain qu’aujourd’hui [il] ne va pas prendre la décision d’engager des investissements […] si [il] n’a pas de sécurité juridique sur le fait que ces travaux ne vont pas être remis en cause.»
Présent lors des débats pour défendre l’arrêté, un collaborateur du préfet de Seine-et-Marne avait effectivement précisé qu’au-delà de cette «épée de Damoclès», il y avait «de toute manière» des problèmes «d’indisponibilité des équipes et des matériaux» qui empêchaient le démarrage rapide du chantier. «Compte tenu de la tension actuelle sur le marché international, [le délai] de réception de certains matériaux est de six mois, et même pour d’autres de dix à douze mois», avait-il certifié.
«Notre objectif, c’est l’abandon définitif du projet car nous sommes déterminés à protéger les captages d’eau potable qui alimentent Paris et la Seine et Marne, réagit auprès de Libération Dan Lert, le président d’Eau de Paris et adjoint de la maire Anne Hidalgo en charge de la Transition écologique. Nous resterons extrêmement vigilants en attendant la décision finale sur la légalité de l’arrêté préfectoral. Et si nécessaire, nous introduirons un nouveau référé suspensif en cas de démarrage des travaux avant cette décision.»
Dans un entretien Libération, Dan Lert avait qualifié le projet de Bridge Energies de «catastrophe écologique en puissance». D’autant que le 27 décembre, quelques jours seulement avant de démissionner, la Première ministre, Elisabeth Borne, a également signé en toute discrétion un décret «accordant l’extension» de la superficie de la concession de Nonville de 10 km² à 53 km². Laissant entrevoir la possibilité pour Bridge Energies d’ambitionner, dans les années à venir, de se développer encore plus. D’après la régie publique, deux sources d’eau potable sont directement menacées de pollution par le forage et l’exploitation des deux nouveaux puits actuellement au centre des attentions. Elles fournissent à elles seules 25 000 m³ d’eau potable en moyenne chaque jour, destinée aux 789 habitants du village de Villemer en Seine-et-Marne, et à plus d’une centaine de milliers de Parisiens, en particulier du Ier, IIe, IIIe, IVe, VIIe, XVe et du XVIe arrondissement.
En attente de la réaction de l’entreprise Bridge Energies, sollicitée ce vendredi 17 mai par Libération.