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Pfas : l’Académie des sciences recommande l’interdiction de tout rejet dans l’environnement et la traçabilité des molécules

Dans un rapport publié mardi 25 mars, l’institution appelle à interdire les rejets des polluants dits éternels dans la nature et à plus de transparence sur leurs utilisations. Elle insiste sur la nécessité d’un grand plan de recherche sur la toxicité et le recyclage de ces molécules.
Une pancarte contre les Pfas est tenue au sol lors d'un rassemblement à Lyon, le 16 février 2025. (Elsa Biyick/Hans Lucas.AFP)
publié le 25 mars 2025 à 16h44

Une pollution d’une «complexité inédite». Alertée par une association lyonnaise, l’Académie des sciences s’est penchée sur la pollution aux substances poly- et perfluoroalkylées (appelés Pfas), dans un rapport publié ce mardi 25 mars. Elle considère que ces polluants dits éternels posent «des défis majeurs à nos sociétés». Les scientifiques posent cinq recommandations pour aller plus loin que la loi votée le 20 février, qui interdit la fabrication et la vente de certains produits contenant des Pfas. Ils réclament une traçabilité des molécules Pfas émises, un étiquetage obligatoire sur les produits en contenant et toujours commercialisés, une interdiction de leur rejet dans la nature, et un effort de recherche important pour mieux comprendre leurs effets sur la santé et l’environnement et pour trouver des moyens de s’en débarrasser.

En se penchant sur le sujet, le chimiste Bruno Chaudret, co-auteur du rapport avec Odile Eisenstein et Olivier Donnard, ne cache pas avoir été surpris. «Je m’attendais à une pollution, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il existe 12 000 molécules dans la famille des Pfas, ni à ce qu’on en retrouve à ce point partout», confie-t-il à Libération. Dans le rapport, les scientifiques font remonter «les préoccupations internationales concernant les effets potentiels sur la santé associés à l’exposition aux Pfas» au début des années 2000, lorsque leur présence «a été détectée dans le sang des ours polaires de l’Arctique et de la faune d’autres régions éloignées des zones d’activités humaines». Les Pfas sont partout. Le 10 mars, une étude parue dans la revue Cell, rapportait des taux de Pfas dans le sang treize fois supérieur au seuil de risque chez les populations de chasseurs Inuit de l’est du Groenland. En France, en 2019, l’agence Santé publique France relevait la présence de deux substances «historiques» de la famille des Pfas, l’acide perfluorooctanesulfonique (Pfos) et l’acide perfluorooctanoïque (Pfoa), dans le sang de la totalité des enfants et des adultes examinés. Des substances respectivement classées «cancérogène possible» et «cancérogène pour les humains» par le Centre international de recherche sur le cancer. Les scientifiques appellent donc à contrôler la production et à interdire les rejets en mettant en place «une traçabilité stricte […] depuis leur synthèse industrielle jusqu’aux produits finis et leur fin de vie».

Des «polluants éternels» difficiles à dépolluer

Dans son rapport, l’Académie des sciences insiste aussi sur la nécessité «d’efforts conséquents de recherche […] pour mieux comprendre les effets de ces molécules, dont la diversité est considérable et les propriétés très variées». Parmi les risques les mieux documentés, on trouve des liens probables avec les cancers des reins ou des testicules, le risque de lésions du foie, une mauvaise réponse aux vaccins ou encore une hausse du taux de cholestérol. «S’il n’y a qu’une chose à tirer de ce rapport, c’est le besoin de recherches sur le sujet», souligne Bruno Chaudret. Certes, mais dans l’attente de plus amples résultats, «un manque de données ne devrait pas justifier un report des mesures de réduction des risques», précise le rapport. «Leur principal problème, c’est leur longévité. Les Pfas sont très persistants, on ne doit pas les laisser s’accumuler dans l’environnement», insiste l’auteur, auprès de Libération. Ce caractère persistant les rend très difficile à casser pour dépolluer. Nettoyer les eaux et sols européens de ces «polluants éternels» coûterait au moins 95 milliards d’euros sur vingt ans dans les conditions les plus favorables, mais la facture pourrait atteindre 2 000 milliards d’euros dans le pire des cas, selon une enquête de plusieurs médias, coordonnée par le Monde, publiée le 14 janvier.

Pour limiter la présence de Pfas dans l’environnement, les scientifiques préconisent donc de s’en passer, quand cela est possible. Dans au moins deux domaines, ils ne voient pas de substitution possible : dans les mousses anti-incendie et dans les batteries lithium-ion des vélos et voitures électriques. Il conviendrait donc de rendre obligatoire un étiquetage spécifique pour les produits du quotidien contenant ces molécules.

L’Académie des sciences promet une suite à son rapport. Aussi perturbante soit la pollution aux Pfas, elle ne constitue «qu’un élément de l’ensemble des expositions chimiques subies par les populations et les écosystèmes», note le rapport. L’Académie promet donc un futur travail sur «l’importance d’une approche plus large des expositions chimiques». Elle compte se livrer à une étude approfondie de l’ensemble des produits chimiques auxquels un être humain peut être exposé. Une notion connue sous le nom « l’exposome chimique », qui fera l’objet d’un travail spécifique à destination du grand public et des décideurs. Tout un programme.