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Bonne nouvelle

Pfas : l’Assemblée nationale vote une loi pour interdire les polluants éternels dans les vêtements et les cosmétiques

Le député Les Ecologistes de Gironde Nicolas Thierry a convaincu ses collègues de réguler, à partir du 1er janvier 2026, ces produits chimiques dont les effets font scandale aux Etats-Unis. Mais la majorité est parvenue in extremis à sauver les poêles Tefal et autres ustensiles de cuisine.
Nicolas Thierry, député Les Ecologistes et rapporteur de la commission du développement durable à l'Assemblée, le 4 avril 2024. (Emmanuel Dunand/AFP)
publié le 4 avril 2024 à 16h35

C’est une victoire en demi-teinte pour le principe de précaution, la protection de la santé et de l’environnement dans le dossier des «polluants éternels». Après plus d’un an de plaidoyer pour convaincre ses collègues députés de la dangerosité de ces produits, et malgré une majorité macroniste hésitante, l’élu Les Ecologistes de Gironde, Nicolas Thierry, a réussi son pari. Sa proposition de loi visant à interdire, au 1er janvier 2026, certains usages non essentiels des Pfas, ces substances chimiques présentes en masse dans le corps humain et la nature, a été adoptée ce jeudi 4 avril à l’Assemblée nationale, mais les poêles Tefal et autres ustensiles de cuisine ont été épargnés. «On vient de voter un premier jalon important. Je regrette néanmoins que le lobby grossier d’un industriel ait pu avoir un écho auprès de députés de la majorité et de la droite, a réagi Nicolas Thierry. C’est une première avancée majeure, on peut collectivement être fiers.» Et d’ajouter : «C’est une victoire historique.»

Mêlant le carbone et le fluor, ces molécules de synthèses utilisées dans de nombreux processus industriels et entrant dans la composition de moult objets du quotidien (poêles, tissus imperméables, cosmétiques etc.), avaient semblé miraculeuses à leur création dans les années 40, à cause de leur caractère indestructible, avant que leur persistance dans notre sang et dans les milieux naturels, ainsi que les effets délétères pour la santé de certaines d’entre elles, soient mis au jour aux Etats-Unis. Surpris que le scandale sanitaire et environnemental n’ait jamais vraiment éclaté en France et en Europe, le député Nicolas Thierry avait souhaité l’inscrire à l’agenda du palais Bourbon, lors de la «niche» dévolue à son parti.

Le ministre de l’Industrie Roland Lescure très critique

Son texte vise à réduire l’exposition de la population à ces molécules, en interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de certains produits qui en contiennent. Dans sa version initiale, il prévoyait une interdiction dès juillet 2025 pour certains produits et en 2027 pour les autres, avec d’éventuelles dérogations. Afin d’obtenir une majorité en commission du développement durable la semaine dernière, il avait accepté d’en restreindre l’ambition, en renonçant à réguler les emballages alimentaires, pour rallier les suffrages des élus macronistes.

La version présentée dans l’hémicycle ce jeudi prévoit d’interdire ces composés à compter du 1er janvier 2026 dans les produits cosmétiques, produits de fart (pour les skis) ou vêtements contenant ces substances, à l’exception des vêtements de protection pour les professionnels de la sécurité et de la sécurité civile – l’ensemble des textiles, dont les uniformes de protection des professionnels de la sécurité et de la sécurité civile, seront concernés par l’interdiction à compter du 1er janvier 2030.

Or, si les députés se sont prononcés contre l’avis du gouvernement pour le maintien de ces interdictions, ils ont finalement exclu totalement du périmètre les ustensiles de cuisine, faute de compromis trouvé sur une date de sortie, amoindrissant la portée du texte. La mobilisation de l’industrie chimique, à commencer par le groupe Seb qui a organisé mercredi une manifestation de salariés devant l’Assemblée nationale et brandi la menace qu’une loi de régulation ferait peser sur l’emploi, a porté ses fruits. «Encore une fois», la majorité alliée à LR et au RN aura «cédé aux lobbyings [du fabricant] Seb, au détriment de la santé des Français. C’est une honte», se sont agacés les députés écologistes.

«Je crois à la science, pas à la loi émotionnelle»

Les poêles au Pfas de Tefal, qui cristallisent les débats depuis quelques jours, ont été bien aidées par le discours du ministre de l’Industrie Roland Lescure, qui représentait le gouvernement. Ce dernier a en effet jugé la proposition de loi «inefficace, inopérante et contre-productive». Et de reprendre les arguments des industriels sur les milliers d’emplois «en péril» et le fait que les Pfas présents dans les ustensiles de cuisines n’étaient «probablement pas toxiques». «Je crois à la science, pas à la loi émotionnelle», a-t-il martelé, souhaitant privilégier la réalisation d’«évaluations indépendantes» face aux députés de gauche l’appelant à regarder le film Dark Waters sur le scandale des Pfas aux Etats-Unis ainsi que le documentaire Toxic Bodies des militants écologistes Camille Etienne et Solal Moisan, en accès libre sur YouTube depuis une dizaine de jours. Même argument du côté du Rassemblement national. Le député Emeric Salmon a prôné une «approche souple» qui permettra aux entreprises de s’adapter. Le tout, sans «céder à l’écologie punitive qui menace de désindustrialiser encore un peu plus la France». «On a perdu 2 millions d’emplois industriels ces dernières décennies en France […] Qui va nous faire croire que tout ça c’est la faute de l’écologie ?» a répliqué dans l’hémicycle le député LFI François Ruffin.

Un autre point majeur de la proposition de loi concernant le financement de la dépollution causée par les Pfas a également suscité de vifs débats. Le texte instaure en effet le principe «pollueur-payeur», afin que les entreprises qui rejettent ces substances dans la nature financent la «dépollution» via une «redevance» versée aux agences de l’eau. Et ce, malgré les vives critiques du ministre Roland Lescure, qui trouve «kafkaïen» de faire payer les «industriels d’aujourd’hui» pour «une pollution passée» générée «par d’autres». Le ministre, dont les propos ont fait écho à ceux du PDG de Seb tant il a mis d’énergie à défendre l’entreprise, la citant à plusieurs reprises, préfère faire peser ce poids financier sur la «nation» et donc sur «les consommateurs et les contribuables». Il s’est dit favorable à un «débat» sur la dépollution lors de l’examen du projet de loi de finances à l’automne.

Enfin, le texte consacre l’obligation de contrôler la présence de Pfas dans l’eau potable sur tout le territoire, alors que des nappes phréatiques et des cours d’eau sont notamment contaminés dans la vallée de la chimie, au sud de Lyon.

Si Lescure a torpillé au banc des ministres la proposition de loi écologiste, les troupes macronistes ne l’ont pas suivi lors du vote. Chez Renaissance, 56 députés ont voté pour l’interdiction des polluants, tout comme 8 élus Modem et 16 Horizons, le parti d’Edouard Philippe. Le reste des élus du camp présidentiel ont séché la séance – un classique lors de ces «niches» parlementaires réservées aux oppositions. Pas plus nombreux, les députés RN, comme ceux des Républicains (LR), se sont réfugiés dans l’abstention.

Ce vote à l’Assemblée n’est qu’une étape dans la bataille contre les Pfas. Les sénateurs écologistes pourraient s’en emparer dans le cadre de la journée qui leur est réservée le 30 mai pour le mettre à l’agenda du Palais du Luxembourg. Mais il est à craindre que la majorité de droite tente de faire échec à cette régulation dont ne veut pas l’industrie.