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Pollution de l’air : l’Union européenne durcit ses normes, mais pas trop

L’UE a renforcé mardi 20 février ses normes sur la qualité de l’air d’ici 2030, mais sans les aligner sur les recommandations de l’OMS comme le réclamaient les eurodéputés, sur fond de crispations sur l’impact des réglementations environnementales.
Brouillard de pollution à Milan, le 21 février 2024. (GABRIEL BOUYS/AFP)
publié le 21 février 2024 à 19h06

Un petit pas vers une meilleure qualité de l’air sur le Vieux Continent. Eurodéputés et négociateurs des Etats membres se sont accordés mardi 20 février au soir sur des limites plus strictes pour 2030 pour plusieurs polluants : particules fines, dioxyde d’azote, dioxyde de soufre… «Une étape majeure pour garantir un avenir plus sain» en révisant «des normes obsolètes dont certaines dataient de quinze à vingt ans», a salué l’eurodéputé social-démocrate espagnol Javi López, rapporteur du texte.

Chaque pays devra élaborer une feuille de route détaillée, selon l’accord, qui doit encore être formellement confirmé par Etats et eurodéputés. Pour le dioxyde d’azote et les particules fines inférieures à 2,5 micromètres (PM2,5) – très nocives car elles pénètrent profondément dans les poumons –, les valeurs limites annuelles permises seront abaissées de plus de moitié en 2030 par rapport à aujourd’hui.

«Les normes seront à nouveau révisées d’ici décembre 2030, puis au moins tous les cinq ans, et plus souvent si des avancées scientifiques le justifient, telles que des lignes directrices révisées de l’[Organisation mondiale de la santé, OMS]», précise un communiqué du Parlement. Alors que 300 000 décès prématurés sont imputables chaque année à la pollution atmosphérique dans l’Union européenne, les Vingt-Sept se fixent formellement pour 2050 un objectif «zéro pollution».

«Goût amer»

Mais pour l’heure, les nouveaux objectifs fixés pour 2030 restent bien en deçà des recommandations de l’OMS, mises à jour en 2021. S’inscrivant dans le Pacte vert, la législation a fait l’objet d’âpres pourparlers, nombre d’Etats plaidant pour des normes moins contraignantes et de larges dérogations, alors que les eurodéputés réclamaient initialement l’alignement strict et contraignant d’ici 2035 avec les lignes directrices de l’OMS. Finalement, les Etats pourront demander que l’échéance 2030 des nouvelles normes européennes soit reportée jusqu’en 2040 en cas de conditions spécifiques : par exemple lorsque les réductions de polluants exigent le remplacement d’une partie «considérable» des systèmes de chauffage domestique, ou en cas de relief montagneux défavorable.

Norbert Lins, rapporteur du PPE (droite), juge les concessions insuffisantes : «Nous plaidions pour des limites réalistes améliorant l’air sans mettre en danger notre économie ni restreindre de manière disproportionnée nos citoyens. Cet équilibre n’est pas atteint», a tancé l’élu conservateur allemand. Il déplore un calendrier précipité, le «manque de flexibilité» et l’impact supposé sur l’agriculture ou les transports.

De son côté, Ugo Taddei, de l’ONG ClientEarth, se désole : «Les progrès accomplis dans la loi laissent un goût amer. Dans de nombreuses régions, les citoyens devront peut-être attendre plus d’une décennie pour respirer un air plus sain.» Il appelle les Etats à prendre «des mesures concrètes pour protéger les plus vulnérables». «L’air pur est une nécessité : il représente une meilleure santé, plus de justice sociale, une économie plus efficace. La pollution de l’air agit comme un accélérateur des inégalités sociales», a commenté mardi le commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius.

Les citoyens pourront demander justice

L’eurodéputé roumain Vert Nicolae Stefanuta accuse le coup, dans un contexte de rétropédalage sur les réglementations environnementales. «L’attaque réactionnaire contre le Pacte vert sape les efforts pour maîtriser la pollution. La santé des populations et l’environnement ne peuvent continuer à pâtir de lois laxistes et d’une mauvaise application.» S’il regrette le non-alignement sur l’OMS, il salue «un pas en avant» et les avancées du texte en matière d’accès à la justice et d’indemnisation. Car la nouvelle législation permet de saisir les tribunaux, y compris par des ONG, en cas de dépassement des normes fixées. Les citoyens dont la santé est atteinte par la pollution atmosphérique pourront donc réclamer une indemnisation considérable devant la justice.

Nombre d’Etats membres peinent cependant déjà à respecter les normes actuelles de qualité de l’air, dont la France. Bruxelles a de nouveau adressé ce mois-ci une mise en demeure à Paris. La France avait déjà été épinglée en 2019 par la justice européenne pour le dépassement «systématique» des limites de dioxyde d’azote dans plusieurs villes.