Les industriels ne sont pas prêts à lâcher leurs pots de yaourt. Censée entrée en vigueur en 2025, la disposition de la loi Climat et résilience de 2021 prévoyant l’interdiction des emballages en polystyrène non recyclables -des pots de yaourts comme des barquettes de viande et de poisson ou encore des crèmes desserts- au 1er janvier 2025 ne pourra pas être mise en œuvre comme prévu. «Les ambitions de la loi étaient trop ambitieuses. Nous sommes dans une impasse», admet le ministère de la transition écologique, auprès de franceinfo et du Monde. Or, ce nouveau recul sur le front environnemental aurait pu être évité, révèlent ce lundi 17 juin les deux médias, qui ont eu accès à un document confidentiel.
Interview
Ce rapport datant de 2021, remis au ministère de la Transition écologique mais jamais rendu public, dévoile l’ampleur du lobbying mené par les industriels de l’agro-industrie et du plastique pour repousser l’interdiction des emballages en polystyrène non recyclables. Dépourvu de bibliographie, il «condense en une cinquantaine de pages de nombreuses allégations non sourcées, biaisées et lacunaires», écrit franceinfo qui y lit, par exemple, que les plastiques auraient un meilleur bilan environnemental que leurs alternatives. Les alternatives en question, comme les pots en verre consignés en Allemagne, ou le recours à des plastiques moins problématiques et recyclables comme le polyéthylène téréphtalate (PET) aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne ou au Portugal, ne sont pourtant pas mentionnées. Tout comme les études défavorables à ce polymère.
14 milliards de pots de yaourts achetés chaque année en France
Les industriels raffolent des propriétés du polystyrène ; très léger, facilement cassable, il est en tout point adapté à la production des 14 milliards de pots de yaourts achetés et jetés chaque année en France. Problème, aucun centre de recyclage français ne sait à ce jour traiter ces déchets, qui finissent majoritairement, brûlés ou enfouis, quand ils ne se retrouvent pas dans l’environnement. Au mieux, les pots de yaourts sont transformés en cintres ou en pots de fleurs. Pourtant, au moment du vote de la loi en 2021, les industriels ont réussi à convaincre les sénateurs et les députés de conditionner la suppression des emballages en polystyrène non recyclables à l’absence de filière de recyclage dédiée, plutôt que d’opter pour une interdiction ferme au 1er janvier 2025.
Reportage
D’après Le Monde et franceinfo, c’est donc sur la base du document écrit par le consortium PS25 -regroupant le syndicat professionnel des produits laitiers frais, Syndifrais, des acteurs du lobby du plastique (Plastics Europe, Polyvia, Elipso), et Citéo, l’organisme financé par le secteur de la grande distribution pour mieux gérer ses déchets- que les industriels ont fait le choix de ne pas renoncer au polystyrène, privilégiant la voie du recyclage chimique, avec l’assentiment de l’exécutif. «Le manque de rigueur scientifique du rapport aurait dû mettre la puce à l’oreille au gouvernement», souffle au Monde une source proche du dossier.
Le rapport stipule que les technologies de recyclage chimique se «développent très rapidement», même si pour atteindre les objectifs les auteurs sollicitent «le soutien des pouvoirs publics». Or, parmi les trois «projets opérationnels» français mis en avant dans le document -un porté par le groupe Michelin, un autre par l’entreprise Inéos à Wingles dans le Pas-de-Calais et le troisième par TotalEnergies qui prévoyait d’intégrer le polystyrène à son unité de recyclage chimique sur le site de Grandpuits en Seine-et-Marne- tous ont depuis été abandonnés.
«Un véritable gaspillage d’argent public»
«Quand le rapport est sorti en 2021, le contexte était différent, se défend le gouvernement. Avec des industriels comme Michelin on pensait qu’il y avait des acteurs sérieux, mais ça n’a pas fonctionné à cause d’écueils techniques inattendus. Le problème c’est qu’on s’en est rendu compte trop tard. Un état des lieux devra être fait afin de connaître les impasses, les raisons de ces difficultés et mieux comprendre pourquoi il y a des différences de situation». De son côté, l’ONG Zéro Waste France dénonce «un véritable gaspillage d’argent public alors même qu’une politique publique forte en faveur du réemploi des emballages fait cruellement défaut». Début 2022, les ministères de la Transition écologique et de l’Industrie avaient en effet lancé un appel à projets sur le recyclage chimique, doté de 300 millions d’euros de financements publics.
Interpellée par un sénateur lors d’une séance de questions au gouvernement le 4 juin, Dominique Faure, la ministre chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, a indiqué qu’il serait «raisonnable» de reporter l’interdiction des emballages en polystyrène pour s’aligner sur le nouveau règlement européen qui prévoit que l’ensemble des emballages soient recyclables en 2030. Le ministère de la Transition écologique renvoie quant à lui la patate chaude au futur gouvernement, qui devra trancher.