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Pollution plastique : nouvelle débâcle à Genève, où les pays échouent à sceller un traité mondial

Les 184 pays réunis depuis dix jours en Suisse pour une session de négociations annoncée comme celle de la «dernière chance» se quittent, ce vendredi 15 août, sans trouver d’accord. Une énième rencontre a été décidée pour prolonger les débats.
Des activistes manifestent lors de la dernière journée de négociation d'un traité mondial sur la pollution plastique, à l'ONU à Genève, mercredi 13 août 2025. (Fabrice Coffrini/AFP)
publié le 15 août 2025 à 8h20
(mis à jour le 15 août 2025 à 14h41)

Déconvenue à Genève. La session de sauvetage organisée en Suisse par les Nations unies afin de sceller le premier traité mondial contre la pollution plastique s’est soldée par un nouvel échec, ce vendredi 15 août au petit matin. Réunis pour tenter de surmonter les déboires de Busan, en Corée du Sud, dernier round officiel des négociations onusiennes qui avaient fini dans l’impasse il y a huit mois, les délégués de 184 pays ont de nouveau échoué à s’entendre sur un texte «juridiquement contraignant» face au fléau que représente ce matériau synthétique. Après dix jours de pourparlers, la séquence helvétique de prolongations s’est achevée dans la désillusion la plus totale, marquée par la fracture de deux camps irréconciliables. Une énième session de la «dernière chance» sera donc organisée, dans une ville et à une date restant à définir, sur la base du projet de texte issu de Busan. Preuve de la faillite à Genève.

«Ce cheminement que nous avons entrepris n’est pas un sprint mais un marathon. Cette persévérance doit nous accompagner plus que jamais», a cherché à rassurer le président du Comité intergouvernemental de négociation, l’Equatorien Luis Vayas Valdivieso, ce vendredi matin lors de la session de clôture, devant des mines cernées et déconfites. «Nous sommes profondément déçus», lui a rétorqué la représentante de la délégation australienne, Katherine Lynch, lors de sa prise de parole. «L’Union européenne avait davantage d’ambition», a répondu la Commissaire européenne à l’Environnement, Jessika Roswall. «Il est regrettable que nous n’ayons pas été capables de présenter au monde un traité», a appuyé de son côté Tobias Ogweno, au nom du Kenya, connu pour son rôle moteur.

«Intérêts financiers de court terme»

L’horaire initial de clôture était prévu jeudi 14 août à minuit. Trente minutes avant la fin formelle des négociations, le président a convoqué une séance plénière dans une ambiance chaotique. Sa prise de parole n’a duré qu’une trentaine de secondes, stupéfiant une partie de l’auditoire, mais offrant, conformément aux règles onusiennes, un sursis de quelques heures pour poursuivre les concertations. Las, malgré ce répit, les chefs de délégation réunis en session informelle une bonne partie de la nuit n’ont pas trouvé d’accord sur la dernière version du texte mise sur la table.

A l’aube, cette version comportait encore plus d’une centaine de points à trancher. «Une poignée de pays, guidés par des intérêts financiers de court terme et non par la santé de leurs populations et la durabilité de leur économie, ont bloqué l’adoption d’un traité ambitieux», a regretté la ministre de la Transition écologique française, Agnès Pannier-Runacher, se disant «en colère» – contrairement à ses engagements en demi-teinte sur les objectifs climatiques, la France pousse depuis le début sur la question du plastique pour un «texte à la hauteur de l’urgence», selon les termes employés par Emmanuel Macron sur X.

Mercredi 13 août, un projet de synthèse présenté par Luis Vayas Valdivieso, jugé encore plus faible que la dernière version, avait été rejeté illico par de nombreux pays. «La présidence a utilisé une stratégie éprouvée qui consiste à présenter un texte inacceptable, puis à revenir avec un traité médiocre à prendre ou à laisser […] qui reste insuffisant pour répondre pleinement à la crise, analyse David Azoulay, avocat au sein du Centre pour le droit international de l’environnement. Lorsqu’un processus est défaillant, comme c’est le cas ici, il est essentiel que les pays identifient les solutions nécessaires pour y remédier.»

Le fiasco était attendu. Malgré l’urgence de la situation, les 460 millions de tonnes de plastique produites chaque année dans le monde et les perspectives d’un triplement de cette quantité à horizon 2060. Malgré le fait que ce matériau surtout fabriqué à base de pétrole sera responsable de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici vingt-cinq ans (aujourd’hui, il y contribue à hauteur d’environ 4 %). Malgré aussi la capacité de cette matière toxique à se disperser sur le globe jusqu’au sommet du Mont-Blanc et à s’immiscer partout, «dans les sols, l’eau, l’alimentation, nos corps et ceux de la génération suivante avant même qu’ils n’aient eu l’occasion de boire dans une bouteille en plastique», avait redit Megan Deeney, chercheuse à la London School of Hygiene and Tropical Medicine et membre de la Coalition des scientifiques présente à Genève, lors d’une conférence organisée quarante-huit heures avant la fin des débats.

L’Arabie Saoudite et les pays du Golfe à la manœuvre

Depuis le début des discussions, lancées il y a plus de deux ans et demi sous le mandat de l’ONU, les pays s’opposent sur la finalité même de ce traité. Certains veulent limiter le texte à la gestion et l’élimination des déchets plastiques, quand d’autres plaident pour réduire sa production et interdire les produits chimiques les plus néfastes (16 000 composés sont utilisés dans la fabrication du plastique, dont un quart a déjà été classé par les scientifiques comme dangereux).

Les Etats formant le premier «clan», conduits par l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, tous très dépendants du pétrole, étaient en minorité à Genève. Mais ils ont fait preuve d’une organisation redoutable pour entraver les tractations – à l’image de leurs stratégies d’obstruction lors des COP climat – soutenus par les Etats-Unis et dans une moindre mesure par la Chine (restée discrète comme à son habitude), tous deux gros producteurs de plastique. En face, une coalition d’une centaine de pays à «haute ambition» (regroupant Union européenne, Canada, Australie et Royaume-Uni et de nombreux Etat d’Afrique, d’Amérique latine et nations insulaires) a eu beau clamer la nécessité d’être «à la hauteur du défi» et de prendre en compte «tout le cycle de vie du plastique», l’unanimité était indispensable.

La future séquence de pourparlers sera-t-elle conclue par un vote sans nécessité de consensus, procédure exceptionnelle dans l’exercice diplomatique, comme le demandent certaines délégations ? «Le multilatéralisme, il faut absolument le préserver, commente Manon Richert, présente à Genève pour l’association Zero Waste France. Mais pour ça, il faut mettre en place des mécanismes afin que les négociations internationales vitales pour l’humanité ne soient plus confisquées par quelques-uns au détriment de tous les autres.»

Mis à jour jeudi 15 août à 14h41 avec davantage de précisions.