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Libération
"Un grand pas en avant"

Protection de la biodiversité : la justice pourrait contraindre l’Etat à revoir l’évaluation et l’autorisation des pesticides

Les ONG à l’origine du recours ont salué les conclusions de la rapporteure publique lors de l’audience en appel et espèrent désormais une décision positive des juges début juillet.
Un tracteur fait un épandage de pesticide et fongicide type folpel sur des pieds de vigne à Frontignan, en France, le 7 mai 2025. (Nicolas Guyonnet /Hans Lucas. AFP)
publié le 6 juin 2025 à 21h34

La justice française peut-elle pousser l’Etat à agir pour protéger les êtres vivants et leurs écosystèmes menacés par l’utilisation des pesticides ? Un nouveau cap vient d’être franchi lors de l’audience devant la Cour administrative d’appel de Paris de l’affaire «Justice pour le vivant», ce vendredi 6 juin. Plus de trois ans après le recours déposé par cinq ONG de défense de l’environnement pour carence fautive de l’Etat dans la protection de la biodiversité, la rapporteure publique a suggéré de contraindre ce dernier à revoir ses procédures d’évaluation et d’autorisation des pesticides.

En juin 2023, le tribunal administratif de Paris avait condamné en première instance l’État à réparer un «préjudice écologique» lié à l’utilisation massive des pesticides dans l’agriculture. Les cinq organisations - Pollinis, Notre Affaire à tous, l’Association nationale de protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds et ASPAS - avaient salué une décision «historique» mais avaient décidé de faire appel. Objectif : que l’État soit contraint à revoir ses méthodes d’autorisation des pesticides. L’État avait également fait appel.

Espèces «non-cibles»

Ainsi, la rapporteure publique a proposé ce vendredi aux juges de sommer l’État de mettre en œuvre une évaluation des risques sur les espèces «non-cibles» dans le cadre de la procédure d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, dans un délai de douze mois. Autrement dit de bien vérifier que ces produits affectent les espèces visées et pas d’autres, comme les abeilles.

Elle propose dans la foulée de «procéder le cas échéant au réexamen des AMM (autorisations de mise sur le marché) pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à cette exigence». Ses conclusions sont généralement - mais pas systématiquement - suivies par les juges, qui rendront «probablement» leur décision au cours de la première quinzaine de juillet, a indiqué le président.

Deux fautes retenues en première instance ont en revanche été écartées : le non-respect de l’objectif chiffré de réduction de l’usage de pesticides dans les plans gouvernementaux «Ecophyto» successifs et le non-respect de l’obligation de protection de la ressource en eau contre les pesticides.

«Une décision qui pourrait tout changer»

Le ministère de la Transition écologique a indiqué vendredi en début de soirée «prendre acte des conclusions de la rapporteure publique dans l’affaire Justice pour le vivant.» Et d’ajouter, «réaffirmer son attachement à une évaluation indépendante et conforme au règlement européen, notamment en ce qui concerne les effets sur les espèces non ciblées».

Les ONG ont marqué leur satisfaction d’avoir été suivies sur la question des pesticides, au cœur de leur procédure. «C’est vraiment un gros pas en avant si c’est suivi par les juges», a réagi Justine Ripoll, responsable de campagnes de Notre Affaire À Tous. «C’est vraiment le fait de revoir les processus d’homologation de l’Anses qui va créer ce cercle vertueux» avec une «réduction des pesticides autorisés et cet effet d’entraînement qui fait qu’on va développer les alternatives pour les agriculteurs», espère-t-elle.

«Nous nous dirigeons vers une victoire historique pour la biodiversité et l’ensemble du vivant ! Une décision qui pourrait tout changer : dans les pratiques agricoles, les politiques publiques, et la façon dont l’Etat considère enfin la santé et l’environnement», ont réagi dans un communiqué commun les associations.

Elles espèrent aussi que la décision pèsera sur les débats parlementaires sur le projet de loi «Duplomb», qui contient notamment la réintroduction à titre dérogatoire d’un pesticide néonicotinoïde. Voire que ce dernier sera à l’avenir interdit. Lors de l’audience, la représentante de l’Etat n’a pas pris la parole mais l’avocat de Phyteis, le lobby des pesticides, a demandé aux juges de «ne pas retenir la faute proposée par la rapporteure publique».