Ils attendaient ce moment avec impatience et appréhension. La famille Grataloup a enfin pu se confronter, ce jeudi 3 avril au tribunal judiciaire de Vienne (Isère), au géant allemand de la chimie, Bayer-Monsanto, qu’elle tient pour responsable des malformations de Théo, 17 ans. L’adolescent souffre de graves problèmes de santé depuis sa naissance, que ses parents imputent à une exposition in utero au glyphosate, l’herbicide le plus vendu au monde classé en 2015 comme un «cancérogène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer. Depuis fin 2018, il est interdit en France pour un usage domestique. Son approbation en Europe a cependant été renouvelée en novembre 2023 pour dix ans «sous réserve de certaines conditions et restrictions».
Ce jeudi, le groupe allemand s’est vivement défendu des allégations de la famille Grataloup, arguant qu’il n’y a «aucun lien de causalité» entre son herbicide phare et le handicap du jeune homme. Ce produit chimique n’aurait «aucun effet sur la reproduction» humaine, a assuré Me Jean-Daniel Bretzner, le conseil de Bayer, en citant de nombreuses études scientifiques. Thomas et Sabine Grataloup, les parents de Théo, sont, eux, convaincus du contraire et ont lancé en 2018 une action au civil pour faire reconnaître ce lien par les tribunaux, une «première» selon eux, puisque les autres procès intentés à Bayer-Monsanto ont porté sur des cas de cancers.
55 opérations chirurgicales
«Je représente tous les mal formés» et en cas de victoire, «cela fera jurisprudence et permettra à d’autres victimes d’aller en justice beaucoup plus rapidement», a déclaré Théo à son arrivée au tribunal. «Ce combat me dépasse», a-t-il ajouté d’un mince filet de voix. L’adolescent est né avec «l’œsophage et la trachée qui ne se sont pas séparés correctement», a expliqué sa mère. Depuis, il a subi 55 opérations chirurgicales qui lui permettent de manger normalement, de respirer et parler par un «trou dans la gorge». Mais sa situation reste fragile.
Pour Sabine Grataloup, son handicap trouve sa source en août 2006. A l’époque, dit-elle, elle a utilisé du glyphosate pour désherber une carrière d’équitation, l’aspergeant «plusieurs fois par jour, sans protection particulière». Elle ignorait alors qu’elle était enceinte de «quelques semaines», une période clé dans le développement fœtal.
Interview
Lors de l’audience, les avocats de Bayer ont tenté de discréditer deux témoignages d’ouvriers, présents ce jour-là, qualifiés d’«attestations impropres», «rédigées onze ans après les faits» pour établir l’exposition de Sabine Grataloup au produit Glyper – un générique de l’herbicide Roundup de Monsanto. Me Bretzner a aussi renvoyé la responsabilité de la fabrication du produit à l’époque, à une entité belge du groupe, ce que réfute la partie adverse.
«Il y a des présomptions, graves, précises et concordantes», concernant le lien de causalité entre cet usage du glyphosate et le handicap de Théo, ont plaidé les avocats de la famille Grataloup, soulevant notamment «la proximité temporelle» et l’absence d’autres «causes et éléments extérieurs». Me Bertrand Repolt a aussi dénoncé une tentative «de dilution de responsabilités» du groupe Monsanto.
Indemnité mensuelle de 1 000 euros
A l’issue de l’audience, Sabine Grataloup a comparé son combat à celui de «David contre Goliath» : «Dans l’argumentation de la partie adverse, c’était un peu ‘‘c’est pas moi, c’est mon cousin belge’’, et nous, petite famille du nord Isère, il aurait fallu qu’on assigne la société belge et puis la société italienne, et probablement aussi la société américaine…»
Mais cette longue bataille contre la multinationale a déjà connu une victoire. En 2022, le fonds français d’indemnisation des victimes des pesticides a reconnu le lien possible entre le glyphosate et les malformations de Théo, qui perçoit depuis et jusqu’à ses vingt ans une indemnité mensuelle de 1 000 euros.
Depuis le rachat de Monsanto, Bayer a dû verser plus de 10 milliards de dollars en dommages et intérêts dans plus de 100 000 dossiers à cause du glyphosate, notamment aux Etats-Unis, accusé d’avoir causé des cancers, ce que le groupe nie. La décision a été mise en délibéré au 31 juillet.