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Environnement

Sur l’A69, la résistance des hommes perchés

En opposition à la construction de l’autoroute entre Castres et Toulouse, des écologistes s’installent sur les platanes qu’ils essaient de sauver. Un rassemblement est organisé sur le chantier le 22 avril.
Thomas Brail, le créateur du Groupe national de surveillance des arbres, campe depuis dix jours sur un platane aux abords du village de Vendine. (Matthieu Rondel/Hans Lucas pour Libération)
par Stéphane Thépot, correspondant à Toulouse
publié le 7 avril 2023 à 21h54

En cette fin mars, l’homme perché est redescendu de son platane sous les applaudissements. Un peu ankylosé, le grimpeur-arboriste Thomas Brail venait de passer deux semaines dans la canopée, la sortie du village de Vendine (Haute-Garonne), pour empêcher la coupe d’une douzaine d’arbres centenaires alignés sur la nationale 126 qui file vers Castres. D’ici à 2025, l’ancien axe traversant les coteaux du Lauragais doit être doublé par une autoroute, la future A69, pour relier plus rapidement la sous-préfecture du Tarn à Toulouse. «Pourquoi abattre des centaines d’arbres et artificialiser 400 hectares de terres agricoles pour gagner une douzaine de minutes ?» interroge le militant. A ses yeux, le projet semble totalement anachronique, à l’heure du changement climatique.

Le défenseur des arbres originaire du Tarn, qui s’est fait connaître en campant tout un mois, en 2019, devant le ministère de l’Environnement, à Paris, pour tenter de s’opposer à l’arrachage de 25 platanes à Condom (Gers), n’est pas le seul à se poser la question. D’autres «écureuils», membres du Groupe national de surveillances des arbres (GNSA) qu’il a fondé, ont pris le relais de son combat «quichottesque», en grimpant à leur tour vers les cimes.

A Vendine, un mini-campement a été improvisé au pied des platanes menacés. Le spectre d’une nouvelle «ZAD» est même agité par le ministère de l’Intérieur, depuis que les Soulèvements de la Terre, sous le coup d’une menace de dissolution, ont donné rendez-vous sur le chantier de l’autoroute les 22 et 23 avril après le grand rassemblement contre la mégabassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). «On ne va pas monter une ZAD sur les 62 kilomètres de l’itinéraire», tempère Thomas Digard, membre actif du collectif La voie est libre, qui milite pour un réaménagement de la route nationale 126.

Les tentes plantées à la sortie du village sont présentées comme «un camp de soutien aux écureuils». «Nous ne voulons pas d’un Sainte-Soline bis», assurent les organisateurs. Ces derniers assurent que le futur week-end de mobilisation sera un rassemblement festif pour célébrer «le pot de départ du concessionnaire».

Des chantiers d’abattage menés aux portes de Castres

De son coté, la société Atosca, choisie par l’Etat pour construire et exploiter pendant cinquante-cinq ans la future A69, poursuit imperturbablement les travaux préparatoires au chantier. Une «base de vie» va être installée à Puylaurens pour abriter les ouvriers et les engins de chantier. L’entreprise promet une «autoroute écologique» et assure se soucier du moindre détail environnemental prescrit dans son cahier des charges. Le tribunal administratif de Toulouse, saisi en référé par France Nature Environnement pour tenter d’arrêter les coupes d’arbres, a donné son feu vert à la poursuite des travaux. Atosca a ainsi abattu cinq platanes, sous le nez de Thomas Brail, à Vendine, avant de suspendre les opérations. Et d’autres chantiers d’abattage ont été menés aux portes de Castres.

Les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne ont signé les autorisations pour lancer le chantier dès la publication de la dernière enquête publique environnementale. Les six commissaires enquêteurs ont, eux, délivré un curieux avis favorable, assorti d’une réserve de taille sur le prix du péage, jugé exorbitant. Il faudra débourser plus de 15 euros pour faire l’aller-retour entre Toulouse et Castres sur la future A69. Par comparaison, le trajet voisin entre Toulouse et Albi est quasiment gratuit, si l’on excepte le péage urbain concédé à Vinci aux portes de la capitale de l’Occitanie. Selon la commission, qui dit «comprendre et partager» la plupart des arguments des opposants, il s’agit d’une grave inégalité territoriale.

Pour Thomas Digard, ce vrai faux avis favorable ouvre la voie à un recours juridique sur le fond contre l’autoroute. «Je suis confiant sur la victoire finale devant les tribunaux», confie cet artisan qui redoute toutefois une victoire à la Pyrrhus. Aux yeux de ce militant du collectif la Voie est libre, il est nécessaire de doubler le combat juridique par des actions de terrain menées par des militants déterminés.

Avant l’arrivée des «écureuils» de Thomas Brail, d’autres opérations commandos ont été conduites sous le label Extinction Rebellion. Avec un souci constant de mise en scène plutôt joyeuse et ludique, à la manière d’un grand théâtre de rue en plein champ. Une façon aussi d’éloigner le fantôme de Rémi Fraisse, jeune naturaliste tué en 2014 par la grenade d’un CRS sur le chantier du projet de barrage de Sivens, à l’autre bout du département du Tarn.