Le pétrolier italien Eni cacherait-il son jeu ? Depuis 2022, le groupe prétend ne plus utiliser d’huile de palme pour produire ses biocarburants. «Dans le cadre de sa stratégie de décarbonation, Eni est en train de revoir en profondeur sa chaîne d’approvisionnement afin de réduire à zéro l’utilisation de l’huile de palme et des PFAD [des résidus d’huile de palme, ndlr] d’ici 2023», a expliqué le groupe, qui assure n’utiliser que des «matières premières durables pour produire des biocarburants dans ses raffineries».
A en croire l’ONG Transport & Environnement (T & E), qui a publié lundi 29 janvier une analyse de la question, il semble que ces promesses n’aient pas été tenues. «Eni a eu recours à des importations régulières d’autres produits à base d’huile de palme – comme les distillats d’acide gras de palme (PFAD) – tout au long de l’année 2023 et au moins jusqu’en novembre 2023, affirme le rapport. Et ce, malgré des études scientifiques montrant que les PFAD sont un facteur de déforestation au même titre que l’huile de palme brute.» «Ce n’est pas simplement un déchet, précise Agathe Bounfour, l’autrice de ce texte. Il y a une vraie valorisation de ces produits sur les marchés, ce qui favorise la déforestation.» En effet, selon une étude de la Rainforest Foundation de Norvège, l’utilisation d’une tonne de PFAD entraîne une demande additionnelle de 0,64 tonne d’huile de palme brute.
Ambiguïté
Les PFAD sont des dérivés d’huile de palme de qualité inférieure qui proviennent de la production d’huile de palme brute. On les réserve à des usages dans lesquels la qualité est moins importante, comme la production de biocarburants. «Selon les documents, Eni promet d’arrêter les importations d’huile de palme “en” 2023 ou “d’ici” 2023, précise Agathe Bounfour. Dans tous les cas, ils jouent sur l’ambiguïté, puisque nous avons la preuve qu’ils substituent l’huile de palme brute par des dérivés.» Le groupe est habitué aux tours de passe-passe marketing puisque en 2020 il avait été condamné à une amende de 5 millions d’euros pour avoir trompé les consommateurs au moyen de publicités trompeuses sur le «diesel vert».
Pour nourrir son rapport, l’ONG a retracé le trajet de certains cargos depuis l’Asie du Sud-Est et affirme qu’au moins huit ont continué d’alimenter en PFAD les raffineries italiennes d’Eni de Gela et de Venise. Par exemple, le 13 juin 2023, un navire-citerne a quitté l’est de l’île de Kalimantan, en Indonésie, avant de se diriger vers une ville portuaire de l’île de Bornéo. «Le bateau semble avoir chargé plusieurs cargaisons de PFAD fournies par des filiales de producteurs internationaux d’huile de palme», détaille l’association. Le navire aurait finalement atteint la raffinerie d’Eni vers le 24 juillet.
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«Même si nous n’avons pas les volumes précis des importations, les données de 2022 d’un rapport officiel d’Eni montrent qu’il y a eu une substitution et que les imports en provenance d’Indonésie et de Malaisie restent stables», explique Agathe Bounfour. Pire, l’analyse des approvisionnements d’Eni en Indonésie permet d’affirmer «qu’ils proviennent de filiales de grandes entreprises agroalimentaires et de négoce de matières premières liés à des risques de déforestation».
«Leur communication est floue»
Contacté par T & E, Eni a répondu que «des sous-produits de déchets d’huile de palme sont encore utilisés» et assure que cela est mentionné dans leur communiqué d’octobre 2022. De fait, il est écrit : «Les bioraffineries d’Eni à Venise et à Gela sont déjà alimentées par des matières premières “déchets et résidus”, telles que les huiles de cuisson usagées et les graisses animales, pour plus de 85 % de leurs processus, ainsi que par d’autres biomasses régies par les réglementations nationales et européennes en vigueur.» Pas vraiment un exemple de transparence puisqu’il n’est nulle part fait mention des PFAD.
Le groupe ajoute que tout est légal : «L’utilisation du PFAD est autorisée par le règlement de l’UE prévoyant l’élimination progressive de l’huile de palme d’ici à 2030». «Nous ne disons pas qu’ils sont dans l’illégalité, mais que leur communication est au moins floue, au pire trompeuse, remarque Agathe Bounfour. Ils nous répondent qu’ils ont substitué l’huile de palme et prennent en exemple des graisses animales et de l’huile de cuisson. Ce sont des matières certes plus soutenables [d’un point de vue de la déforestation, ndlr], mais peu disponibles en volume.»
Enfin, Eni refuse «d’assimiler l’utilisation d’un tel déchet à l’utilisation de l’huile de palme elle-même», soutenant que le PFAD est «une conséquence – et non une cause – de la production d’huile de palme». Ce que les études démentent, donc.