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Sécheresse

Tarn-et-Garonne : le Rieutord, un ruisseau qui retrouve son cours tordu

Le Rieutord a retrouvé une partie de ses méandres d’antan. Ce lifting transformant un «caniveau» en «éponge» a donné naissance à une zone humide.
Jérôme Scudier, l’un des deux techniciens du syndicat mixte du bassin du Lemboulas qui réaménagent le Rieutord (Tarn-et-Garonne), en mars. (Ulrich Lebeuf/Myop pour Libération)
par Stéphane Thépot, correspondant à Toulouse
publié le 30 mars 2023 à 9h14

Le Rieutord est un modeste ruisseau des coteaux du Quercy qui ne méritait plus vraiment son nom occitan de «rivière tordue». Au fil des décennies, l’ancien cours d’eau, serpentant jadis à travers champs, a été tellement redressé, contenu, domestiqué pour l’empêcher de déborder, qu’il a fini par être réduit à l’état de tranchée. Une saignée plus ou moins visible selon l’état de la végétation qui borde encore ses rives par intermittence. Aujourd’hui, le ruisseau, à sec une bonne partie de l’année, est de plus en plus profond. «Depuis trente ans, je l’ai vu s’enfoncer d’un bon mètre», témoigne Christian Lestrade, 71 ans, maire de Vazerac (Tarn-et-Garonne). L’élu local, qui préside le syndicat mixte du bassin du Lemboulas (SMBL), a décidé de lancer un chantier d’envergure sur le Rieutord.

Depuis trois ans, celui-ci a retrouvé ses méandres, sur une portion d’environ 200 mètres, le long d’une parcelle boisée. L’opération, réalisée lors de l’hiver 2020, a mobilisé des engins mécaniques : il a fallu creuser le nouveau cours sinueux du ruisseau. «On a fait venir un poids lourd et on a fini avec un tracteur et une benne», raconte Jérôme Scudier, l’un des deux techniciens du SMBL qui a préparé et conduit le chantier. L’ancien lit n’a été que partiellement comblé pour laisser quelques mares grouillant de vie. Et, afin de retenir les galets et le gravier qui en tapissent le fond, des pieux ont été plantés dans l’eau.

Révolution des mentalités

Les bénéfices environnementaux de ce lifting à 28 000 euros ne se sont pas fait attendre longtemps. Une végétation typique s’est rapidement implantée sur les berges, donnant naissance à 6 000 m² de zone humide, selon le SMBL, qui contribue au stockage de l’eau et à la réduction des périodes d’assèchement du ruisseau. Ou comment un «caniveau» destiné à évacuer l’eau le plus rapidement possible a été remplacé par une éponge qui la restituera lentement.

«Notre métier de technicien de rivière s’est longtemps résumé à entretenir la végétation des berges pour éviter les embâcles», témoigne Jérôme Scudier, en évoquant les amas de branches et d’arbres morts formant des barrages naturels et parfois responsables d’inondations localisées. Ralentir le cours d’eau en le laissant vagabonder est une révolution des mentalités. Les méandres retrouvés du Rieutord sont l’aspect le plus apparent du chantier. Mais le technicien insiste aussi, comme son président, sur les risques moins visibles causés par l’enfoncement du lit d’un cours d’eau trop rectiligne, qu’un chantier de recharge à l’aide de gravier s’est attelé à combler. «Si la rivière ne déborde plus, l’eau va plus vite et emporte les sédiments.» Un phénomène observé également sur un grand fleuve comme la Garonne, où la disparition du sable laisse la roche à nue, privant les saumons migrateurs de leurs sites de reproduction.

Il n’y a guère de poissons dans le Rieutord, souvent à sec en été, mais cela n’a pas empêché la fédération des pêcheurs de contribuer au financement des travaux au nom de la «restauration des milieux» et de la biodiversité. «La vie aquacole ne se limite pas à la vie piscicole», souligne Jérôme Scudier. Il fait référence aux insectes et aux batraciens qui peuplent le cours d’eau rendu à la nature et ses abords. Les salamandres apprécient les mares héritées de l’ancien lit dans le bosquet débroussaillé, tout comme les sangliers et les bécasses.

«Il faut reconnaître ses erreurs»

Reste à convaincre les agriculteurs du coin de l’intérêt de cette nouvelle technique de génie hydraulique rural, aux antipodes des pratiques antérieures. Le bulletin municipal de Vazerac évoque d’«anciens travaux ayant dégradé le cours d’eau dans un but d’amélioration des rendements agricoles». Christian Lestrade le dit de façon encore plus cash : «Il faut reconnaître ses erreurs.»

A 71 ans, le cultivateur à la retraite s’emploie à convaincre ses anciens collègues qu’il n’a pas «retourné sa veste» en prêchant une solution «écologique». «Il faut convaincre sans imposer», veut croire le maire. Six propriétaires ont donné leur accord pour l’opération de «reméandrage» du Rieutord. Deux autres chantiers ont été réalisés, ailleurs, sur le bassin-versant de Lemboulas et un quatrième est en préparation. Grand ordonnateur des eaux, le président du SMBL envisage désormais de connecter les ruisseaux aux 360 lacs collinaires de la région. Ces retenues, souvent envasées et abandonnées, pourraient soutenir le débit durant les étés de sécheresse.