Après beaucoup de débats et de dissensions chez les 27 Etats membres de l’Union, la Commission européenne a publié ce mercredi sa proposition relative à la taxonomie, afin de mieux orienter le financement d’activités contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et ainsi atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. La proposition inclut notamment le gaz fossile et l’énergie nucléaire comme des énergies de «transition», c’est-à-dire qui permettent de passer d’une production d’électricité très carbonée à une électricité neutre en CO2 dans des «conditions claires et strictes». Lesquelles fixent, «pour les activités nucléaires, qu’elles satisfassent à des exigences de sûreté nucléaire et environnementale ; et, pour les activités gazières, qu’elles contribuent au délaissement du charbon au profit de sources d’énergie renouvelables», détaille la Commission.
Décryptage
En respectant ces critères, le gaz et le nucléaire sont, de fait, placés provisoirement au même niveau que l’éolien ou le solaire, considérés comme des énergies «vertes» et «durables» sur le plan environnemental, et pourront donc bénéficier de l’argent public et privé destiné à la transition écologique. Une aberration pour Neil Makaroff, responsable des politiques européennes de Réseau Action Climat.
Que pensez-vous de la décision de la Commission européenne ?
C’est une erreur fondamentale de classer le gaz fossile et le nucléaire comme des énergies de transition car elles ne respectent pas les critères de durabilité de la taxonomie. Le gaz a supplanté le charbon : c’est désormais la première source d’émission de gaz à effet de serre du secteur de l’électricité en Europe.
Quant au nucléaire, il pose des problèmes en termes de sûreté et de déchets. Sachant qu’il faut quinze ans pour construire une centrale, la notion d’énergie de transition est d’autant plus contestable. Continuer à investir dans ces infrastructures, c’est faire dérailler notre trajectoire climatique européenne. Pourtant, dans le cadre du Green Deal, l’Europe s’est engagée à réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 55% d’ici 2030 (par rapport à 1990), ce qui implique de baisser sa consommation de gaz de 25% d’ici 2030. On est en pleine contradiction.
Une énergie de transition, qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?
Les critères établis par la Commission européenne visent à classer «vert» le gaz et le nucléaire de façon provisoire. Dans la pratique, on pourra donc déposer un permis de construire pour des centrales nucléaires jusqu’en 2045. Pour le gaz, les centrales qui émettront moins de 270 grammes de CO2 par kilowatt-heure – les plus performantes, mais qui restent très émettrices – pourront bénéficier de ce label vert européen jusqu’en 2030. Et elles ne s’arrêteront pas après cette date… Elles continueront de fonctionner car, une fois construites, leur durée de vie est de l’ordre de vingt ou trente ans. Au lieu de rompre avec notre dépendance au gaz fossile et baisser notre consommation, on fait l’inverse.
Quelles dérives peut-on craindre ?
En intégrant ces deux énergies dans la taxonomie, cela leur permettra d’obtenir des sources d’investissements supplémentaires publics et privés à l’échelle européenne. Classer le nucléaire et le gaz comme des énergies vertes revient à détourner des milliards d’euros dédiés à la transition écologique, normalement en faveur de la mobilité à faible émission ou à la rénovation thermique… vers des énergies polluantes.
C’est une opération de greenwashing dangereuse pour le climat. Et cela se fera au détriment du développement des énergies renouvelables, qui risque de prendre un retard considérable.
La France a mené une offensive en faveur de cette proposition…
La France a un double discours. A la COP26, Emmanuel Macron a mentionné qu’il fallait sortir des énergies fossiles. Parallèlement, il a mené des négociations avec plusieurs Etats, dont la Pologne, pour intégrer le gaz et le nucléaire dans la taxonomie européenne.
Pourquoi ? Car sans le soutien des pays favorables au gaz, la France n’aurait pas pu obtenir la classification du nucléaire en label vert. Il en va de la survie de l’industrie du nucléaire en France. Le chef de l’Etat n’a jamais fait mystère de son soutien à l’atome.
Cependant, la proposition n’a pas encore été votée…
Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne disposent de quatre mois pour examiner la proposition et pour exprimer des objections à son égard. La bataille n’est donc pas finie. Beaucoup d’Etats membres comme l’Espagne, le Portugal, le Luxembourg, le Danemark et l’Autriche se sont levés contre la décision d’intégrer le gaz ou le nucléaire dans la taxonomie européenne.
On a une majorité solide d’Etats membres en faveur de cette décision européenne au Conseil, surtout sous l’influence de la France qui en a la présidence. C’est au Parlement où tout va se jouer. Les députés sont très divisés sur la question et il y a des chances que la majorité (fixée à 353, hors abstention) d’entre eux vote contre ce label vert.
L’Autriche a pris les devants et a d’ores et déjà annoncé son intention de porter plainte contre cette proposition…
C’est un ultime recours. L’Autriche va traîner la Commission devant la Cour de justice européenne. Elle estime que cette proposition ne respecte pas les critères de la taxonomie européenne. Que le gaz et le nucléaire n’y ont pas leur place. Mais c’est une longue bataille juridique qui reste incertaine.