Un déluge meurtrier exacerbé par le dérèglement climatique. Selon une étude d’attribution publiée ce mercredi 25 septembre par le World Weather Attribution (WWA), un réseau de scientifiques internationaux étudiant les liens entre événements météorologiques extrêmes et changement climatique, les pluies qui se sont abattues en Europe centrale lors de la tempête Boris «ont été rendues deux fois plus probables» par le réchauffement climatique. D’après cette analyse, ces précipitations ayant frappé la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, l’Autriche, la République tchèque et l’Allemagne ont également été rendues 7 % plus intenses. En moyenne, 240 millimètres d’eau sont tombés entre le 12 et le 15 septembre, et jusqu’à 350 millimètres dans certaines localités autrichiennes. Ces précipitations, «de loin les plus importantes jamais enregistrées» sur cette partie de l’Europe, selon le WWA, ont provoqué des inondations monstres qui ont touché près de deux millions de personnes au total et entraîné au moins 24 décès.
Moins de victimes grâce aux prévisions météo
«Les cumuls de pluies de Boris ont été environ 20 % plus forts que lors des précédents records sur la même région, en 1997 et en 2002», recontextualise le climatologue Robert Vautard, coauteur de l’étude et coprésident du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le scientifique relève par ailleurs que le nombre de victimes est bien moindre qu’à l’époque (une centaine en 1997 et 232 en 2002) : «La tempête a été prévue comme il faut par les services météorologiques et nous avons progressé collectivement dans les systèmes d’alarme, les préparatifs de défense contre les inondations, les modes d’évacuation, les plans d’intervention. Pourtant, toute perte de vie illustre la nécessité de nous améliorer encore. […] Avec un climat qui continue de se réchauffer, qui va ne faire qu’engendrer la multiplication de ces phénomènes extrêmes, il est vital de mieux s’adapter.» Dans leur étude, les chercheurs estiment que dans un scénario futur où la température mondiale surpasserait de 2 °C celle de l’ère préindustrielle (nous en sommes actuellement à + 1,3 °C), des épisodes de quatre jours de pluies extrêmes seront «au moins» 50 % plus probables encore, et aussi 5 % plus intenses.
Reportage
Les ravages qu’a connus l’Europe centrale sont nés de ce que les experts nomment une «goutte froide». C’est-à-dire, précisément, du décrochage vers le sud d’une partie de l’air froid contenu habituellement par une ceinture de vent dans les latitudes polaires. L’air froid a traversé la France en direction de la Tunisie. «Il y a donc eu un conflit de masses entre un air très froid et l’air chaud méditerranéen, ce qui a généré une dépression profonde», expose le climatologue Christophe Cassou, autre coauteur de l’étude et membre du Giec. Après avoir migré vers l’Europe centrale, cette dépression, bloquée en raison d’un gros anticyclone présent sur la Russie, a fait du surplace et «aspiré une grande quantité de l’air chaud et humide de la mer Méditerranée et de la mer Noire, qui présentent toutes les deux des températures de l’eau de surface beaucoup plus élevées que la moyenne, ce qui a renforcé le phénomène», explique-t-il.
Des tempêtes bientôt plus si exceptionnelles
En raison du changement climatique, la survenue d’une goutte aussi froide venue du nord vers nos latitudes en septembre est «environ cinq fois moins probable aujourd’hui qu’il y a trente ans, développe le spécialiste. En revanche, on sait aussi que compte tenu de ce même changement climatique, les dépressions contiennent potentiellement plus d’eau précipitable puisque, selon une loi physique connue depuis près de deux cents ans, un air plus chaud contient plus d’humidité. Résultat, même s’il y avait très peu de chance qu’une goutte froide d’une telle intensité se forme à cette période de l’année, c’est arrivé. Et derrière, le changement climatique a augmenté l’impact de cette goutte froide, conduisant à des précipitations et des inondations exceptionnelles.»
Dans un tout premier travail d’attribution sur la tempête Boris publié lundi 16 septembre, le collectif de scientifiques ClimaMeter avait évoqué, de son côté, des pluies 10 % à 20 % plus intenses en raison de la crise climatique. Des estimations plus hautes que celles établies par le World Weather Attribution, mais qui ne recouvraient ni exactement la même période, ni exactement la même zone géographique (ils n’ont pas inclus l’Allemagne). «L’ordre de grandeur demeure le même, clarifie Davide Faranda, spécialiste des événements extrêmes au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement et directeur de recherche au CNRS, le principal auteur de ce travail. Ce qu’il faut retenir, c’est que les émissions de gaz à effet de serre ont une nouvelle fois participé à un désastre. Et que dans un monde qui ne cesse de voir ses températures grimper, d’autant plus sur un continent européen qui se réchauffe deux fois plus vite qu’ailleurs, ce genre de catastrophe météorologique comme la tempête Boris finira par ne plus devenir un évènement exceptionnel, poursuit-il. Nous parlons ici d’une échelle de temps en décennies, non pas en siècles.»