«Acteur majeur de la transition énergétique» qui vise la «neutralité carbone en 2050», développe les énergies renouvelables et promeut le gaz, «énergie fossile la moins émettrice de gaz à effet de serre». C’est ainsi que se présente TotalEnergies depuis son changement de nom en 2021.
Qualifiée d’opération de «greenwashing» – ou «écoblanchiment» –, cette campagne de communication a été attaquée en 2022 par les ONG Amis de la Terre France, Greenpeace France et Notre Affaire à tous, avec le soutien de l’association ClientEarth, au motif qu’il s’agit là de «pratiques commerciales trompeuses», en vertu du droit de la consommation. Ce jeudi 23 octobre, le tribunal judiciaire de Paris leur a donné en partie raison, en condamnant la multinationale dans un jugement inédit.
Expansion des fossiles
Concrètement, les associations mettaient en doute la sincérité de l’objectif de neutralité carbone et de la «stratégie climat» de TotalEnergies. Car l’entreprise poursuit une activité majoritairement basée sur les énergies fossiles (plus de 97 % de l’énergie produite par TotalEnergies en 2024 est issue des hydrocarbures) et continue à investir dans de nouvelles exploitations d’hydrocarbures. Or depuis 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) recommande de renoncer à tout nouveau projet pétrolier ou gazier dans le monde pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Concernant le concept de «neutralité carbone» brandi par le géant de l’énergie, l’Agence de la transition écologique (Ademe) estimait en 2021 dans un rapport qu’une entreprise ne pouvait revendiquer ce terme et qu’il n’était pertinent qu’à l’échelle d’un pays ou de la planète.
Pour sa défense, TotalEnergies faisait valoir qu’un consommateur «raisonnablement attentif» pouvait avoir accès à toutes les informations nécessaires pour comprendre la portée des ambitions affichées. Selon le groupe, les éléments présentés sur la neutralité carbone visaient à expliquer sa stratégie climatique et son changement de nom, et correspondaient donc à de la communication institutionnelle, qui ne relèverait pas du Code de la consommation.
Le tribunal de Paris ne lui a pas donné raison et a condamné TotalEnergies sur ce point, en estimant que les allégations environnementales portant sur la neutralité carbone, tout en augmentant la production de pétrole et de gaz, étaient «susceptibles d’altérer le comportement d’achat du consommateur» et de «l’induire en erreur», selon un communiqué du tribunal sur cette procédure civile. TotalEnergies a désormais un mois pour retirer d’Internet ses messages le présentant comme «acteur majeur de la transition énergétique». Devront aussi disparaître les affirmations «Nous plaçons le développement durable au cœur de notre stratégie» et «Nous avons pour ambition de contribuer à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ensemble avec la société». L’entreprise s’expose à une astreinte de 10 000 euros par jour de retard. La décision de justice devra aussi être publiée sur la page d’accueil du site de la multinationale pendant six mois. TotalEnergies devra également verser 8 000 euros de dommages et intérêts à chaque association, ainsi qu’un total de 15 000 euros pour les frais d’avocat.
«Précédent important»
Dans ce procès, le groupe TotalEnergies était également questionné sur la légalité de publicités présentant le gaz fossile comme une énergie indispensable à la transition et qui serait un moindre mal par rapport au charbon et au pétrole, malgré les émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre, qui sont associées à son extraction. Le tribunal a rejeté les plaintes sur ce point.
En 2024, le régulateur sud-africain de la publicité avait déjà condamné une campagne de communication de TotalEnergies sur «le développement durable», la jugeant trompeuse. En Allemagne, le groupe avait aussi été condamné en 2023 pour la vente d’un fioul soi-disant «neutre pour le climat». Mais cette fois-ci, compte tenu des allégations beaucoup plus larges, ce jugement pourrait créer un précédent important en droit de la consommation, en France comme à l’international. «C’est la première fois à travers le monde qu’une major pétro-gazière est condamnée par la justice pour avoir trompé le public en verdissant son image au sujet de sa contribution à la lutte contre le changement climatique», saluent les associations dans un communiqué, en pointant une décision «historique».
TotalEnergies n’est pas le seul pétrolier à employer un marketing vert trompeur. Le Britannique BP, qui a pourtant enterré sa stratégie climatique, appelle ainsi le public à le «rejoindre sur le chemin d’un avenir avec moins de carbone». L’Américain ExxonMobil, lui, mise sur le technosolutionnisme : il investit dans le captage de carbone à la sortie des usines, mais continue à accroître sa production pour le marché des fossiles.
Mis à jour à 16 heures avec les réactions des associations.