Un «pognon de dingue», comme dirait le chef de l’Etat. Quand la France tente de réduire son déficit public de 2,4 points de produit intérieur brut (PIB) en quatre ans pour le ramener sous les 3 % en 2029, elle risque de le creuser, dans les deux prochaines décennies, dans des proportions bien plus importantes. Le responsable est identifié, il s’agit du dérèglement climatique. La Cour des comptes, dans son premier rapport annuel consacré à la transition écologique publié le mardi 16 septembre, chiffre le coût de l’inaction, du statu quo des politiques publiques, à 11,4 points de PIB à l’horizon 2050, en s’appuyant sur le rapport sur la stabilité financière de la Banque de France. «Cette perte serait ramenée à sept points avec la mise en œuvre immédiate de politiques d’atténuation», reprend la Cour.
«La préoccupation écologique semble être passée au second plan»
Pourtant, cette perspective n’est guère prise en compte dans les discussions sur l’endettement du pays. La Cour des comptes l’écrit poliment : «Depuis plusieurs mois, la préoccupation écologique semble être passée au second plan de l’actualité du fait d’autres priorités internationales (imprévisibilité et multiplication des conflits armés) ou nationales (redressement nécessaire des finances publiques).» Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, décrit une «erreur» : «On a parfois le sentiment que c’est devenu un superflu, un empêchement, une dépense non nécessaire.» Il rappelle : «La transition est nettement moins coûteuse que l’inaction», et déplore que ce constat soit «mis sous le boisseau.»
Pendant ce temps, les reculs environnementaux s’empilent. La France s’éloigne du respect de ses engagements, de la réduction de ses émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030 et de la trajectoire qui doit la mener vers la neutralité carbone en 2050. «Les résultats constatés sont encore très en deçà des objectifs et des enjeux», constate Pierre Moscovici. Il souligne aussi le «retard préoccupant» accusé par l’adaptation au changement climatique, ces politiques publiques qui préparent et protègent les populations, l’environnement et les infrastructures. Une «action urgente» des pouvoirs publics est nécessaire, selon la Cour.
Le bouclier énergétique, de l’argent qui aurait pu être investi dans les renouvelables
La facture du dérèglement climatique ne cesse de gonfler. Mis bout à bout par les «sages», les différents chiffrages sont éloquents. A l’échelle mondiale, le montant des pertes économiques liées aux désastres naturels a plus que quintuplé : passant de 50 milliards de dollars par an dans les années 80 à plus de 270 milliards par an (227 milliards d’euros) depuis 2000 (selon le réassureur MunichRe). Pour la France, par exemple, les inondations dans les Hauts-de-France en 2023 ont généré 640 millions d’euros de dommages pour les seuls biens assurés, a calculé la Caisse centrale de réassurance, soit un tiers de la sinistralité catastrophes naturelles de cette année-là. Le cyclone Chido à Mayotte en 2024 a représenté un coût de 650 à 800 millions d’euros rien pour le régime des catastrophes naturelles. Le coût annuel moyen des sinistres climatiques passerait, selon France Assureurs, à 4,7 milliards d’euros sur la période 2020 à 2050 (près du double des trente dernières années).
Le retard pris dans la transition se paie cash. «Plus l’action est différée, plus la facture s’alourdit», calcule Pierre Moscovici. Pour preuve, l’inflation des prix des énergies fossiles en 2022 a, par exemple, conduit l’Etat à dépenser 19,6 milliards d’euros dans un bouclier énergétique pour protéger les ménages. Autant de milliards qui auraient pu être consacrés à développer les renouvelables.
La Cour estime que la France doit doubler ses investissements d’ici à cinq ans. De 2022 à 2024, ils ont totalisé entre 100 milliards et 110 milliards d’euros par an, des «financements significatifs», remarque la juridiction financière, mais «insuffisants». Pour tenir les objectifs, il faudrait y rajouter chaque année 100 milliards. L’Etat a-t-il les moyens de cofinancer ? «Maîtrise budgétaire et transition écologique ne sont pas antinomiques», assure Pierre Moscovici. «Le désinvestissement public en la matière n’est pas concevable. Il faudra trouver les voies et moyens pour financer ces investissements additionnels. Sur la manière de financer, il n’y a pas de martingale», remarque encore l’ancien ministre socialiste de l’Economie.
Le secteur privé prépondérant
Pour l’heure, les investissements privés représentent 80 % des financements. Le rapport considère que «la mise en œuvre de la planification écologique reposera largement sur des investissements privés», tout en rappelant qu’un acteur privé ne s’y engage que si la loi l’y contraint ou que si l’investissement est rentable. Il faudrait donc «déterminer la rentabilité des investissements privés et évaluer les surcoûts (notamment pour les ménages)» avant de mettre en place des soutiens publics à même «de déclencher des investissements à la rentabilité faible ou nulle».
La Cour des comptes recommande d’activer plusieurs leviers : la commande publique, la subvention ciblée, la fiscalité écologique, la réglementation ou la réduction des dépenses dommageables… Parmi ces dernières, les niches fiscales brunes, qui avantagent les énergies fossiles et sont recensées dans le budget vert, sont une fois encore pointées. Si les ménages, les collectivités, l’Etat et les entreprises doivent tous être impliqués, l’institution met l’accent sur la justice sociale : «Il est crucial de tenir compte des capacités de financement de chacun, en particulier des ménages modestes, souvent confrontés à un reste à charge trop élevé malgré les aides existantes.»