Les recensements de population sont une sorte de rite collectif
identitaire dont l'origine remonte à la nuit des temps. Mais, tandis que les parents de Jésus se déplaçaient, sans doute à pied, pour aller se faire recenser, l'habitude s'est prise de déplacer des inspecteurs pour additionner les gens à domicile. Le but du rite en revanche n'a pas changé: il s'agit toujours de donner à l'Etat les moyens de faire son boulot tout en laissant entendre à chacun qu'il compte, puisqu'on le compte. Cette consubstantialité du recensement et de l'autorité a d'ailleurs entraîné des réticences de type anarchisant qui ont pu aller jusqu'au boycott. Prévoyant, l'Etat a pris la précaution de rendre le recensement obligatoire sous peine de sanction.
On peut se moquer de cette propension à une légère paranoïa, mais il faut aussi se souvenir qu'une récente querelle entre démographes a rappelé le caractère potentiellement problématique de statistiques sociales apparemment banales. En fait, toute transparence a des taches sombres, les recensements comme le reste. Et leurs bénéfices (pour leurs organisateurs) comme leurs dangers (pour les frileux) appartiennent déjà à un monde désuet: l'analyse comme la surveillance disposent désormais de bien d'autres ressources techniques. Le vieux bulletin de résidence fait vieux jeu dans un monde qui cartographie pièce à pièce la génétique de populations entières (comme en Islande) ou qui peut pratiquer une typologie fine et personnalisée de chaque utilisateur d