Au printemps1982, Bresson préparait le tournage de l'Argent,
l'Argent serait son ultime opus. Le savait-il? Non. Ce mois de mai-là, reprit, comme toujours pour chaque film, l'impressionnante noria: ce défilé raisonné des amateurs plausibles et des éventuels figurants susceptibles, en habitant son histoire, de convenir à la vision du maître. J'avais 30 ans. Un chignon brun-châtain de prude possiblement énigmatique, hors mode. Des traits carrés. Et, peut-être, un regard. A moins que seulement un profil, assez passe-partout. Quoi qu'il en fût" cela commença ainsi" par hasard, dans un café de la rue Marivaux, jouxtant l'Opéra-Comique, où un inconnu de mon âge, aléatoire jeune homme dans la peau amusée de l'assistant-artiste un brin éthylique, Thierry, s'approcha de but en blanc et tout de go me demanda si j'avais entendu parler du cinéaste Bresson. Je répondis oui, bien sûr, et il me parla de tourner un essai. Je laissai glisser, comme on dit, sur la peau d'un canard. Mais, cinq jours plus tard, le hasard me mit nez à nez avec un autre des limiers bressoniens partis à la pêche, Frédéric. Ce dernier était un ami, un proche du maître ou peut-être seulement une connaissance, mais point un collaborateur appointé. A son tour il évoqua le casting très prochain et de nouveau je me rétractai. Lorsqu'une troisième personne, dans la même quinzaine, cette anonyme femme songeuse et lasse sur un quai de la station de métro Châtelet, m'aborda ex abrupto, parlant, elle aussi, encore, de Bresson