Un monde sans liquide serait un monde sans braquage, sans trafic de
drogue, sans travail au noir, sans fraude fiscale" Ce monde-là, de nombreux chercheurs l'annonçaient inéluctable au début des années 80, lorsque la monnaie électronique a pris son essor. Vingt ans plus tard, le cash est toujours là. Les gens aiment la «fraîche»: elle protège leur vie privée, leur liberté et permet des échanges plus humains. Nous avons demandé à deux spécialistes du rapport à l'argent, un sociologue et un psychanalyste, s'il est selon eux possible que les hommes se passent un jour de liquide.
Smaïn Laacher, sociologue, chercheur au Centre d'études des mouvements sociaux (CNRS-EHESS) «La société sans espèces, idée qui court depuis longtemps, est quasi impensable. Dans leurs transactions quotidiennes, les hommes ont besoin de voir, de maîtriser, de compter, d'enregistrer. Les espèces permettent d'assurer une réalité physique à la transaction, et donc de se libérer des autres, de ne jamais se sentir redevable.
Par ailleurs, les espèces symbolisent la monnaie qui a dans notre société une fonction bien plus large que celle de l'échange. Dans les enquêtes que nous avons menées avant le lancement de l'euro, nous avons été frappés par les réponses des gens lorsqu'on leur demandait de nous parler de la monnaie. Ils répondaient tout de suite «Etat», «nation», «territoire», «puissance»" La monnaie produit de la cohésion nationale, car c'est un lien extrêmement concret. Et les pièces et les billets sont la