Les premières alarmes suscitées par les téléphones portables sont à
peu près contemporaines de l'apparition de cet objet symbolique de la modernité. Elles n'ont pas empêché la vertigineuses prolifération que l'on sait. Depuis lors, les chercheurs font leur métier, qui est de chercher. Il n'ont rien trouvé qui prouve que ces portables soient dangereux pour la santé, encore que certains indices interdisent d'affirmer leur complète innocuité. C'est là un dilemme familier de la modernité, comme le montre le débat sur les aliments issus d'une intervention génétique. Sauf que si les inquiets de nature peuvent facilement excommunier le maïs muté, il se trouvera peu d'accros à la prothèse communicationnelle pour la flanquer à la poubelle.
Il est idiot, et même dangereux, de crier vainement au loup, mais cela ne n'empêche pas ces animaux d'avoir de solides mâchoires dont ils savent se servir à l'occasion. La manière dont les grandes compagnies du tabac ont sciemment et longuement menti sur les méfaits de la tabagie doit inciter à la prudence, même à propos d'un objet omniprésent. Mais il faut bien constater que personne de normalement rationnel ne prône l'abstinence de portable (ce qui n'était pas le cas du tabac). Quoique dans l'incertitude, il est impossible de s'abstenir.
On touche là les limites intrinsèques du «principe de précaution» dont on a vite fait un slogan aussi ronflant qu'il est creux. Le philosophe François Ewald décèle dans ce «principe», «une valorisation de la peur»