Qu'un «petit juge» fédéral puisse, au terme d'une saga judiciaire riche en rebondissements, ordonner le dépeçage du géant de la nouvelle économie surprendra peut-être ceux qui ne voient dans les Etats-Unis qu'une jungle capitaliste sans foi ni loi, livrée aux grands prédateurs de l'espèce ultra-libérale. Ce serait oublier que le capitalisme s'y est développé, et n'a prospéré, que dans un bras de fer permanent entre les intérêts privés et un intérêt collectif dont l'Etat fédéral, dès le début du XXe siècle, s'est posé en garant. La grande différence avec le modèle français (et européen) est qu'il ne le fait pas, ou peu, à travers une politique industrielle à coups de décrets et d'arrangements en coulisse, mais en faisant respecter un arsenal légal dont la loi antitrust est l'arme ultime, et que les tribunaux (jusqu'à la Cour suprême) sont chargés d'appliquer. D'où le paradoxe apparent d'un juge en robe noire décidant au moins en partie des développements futurs d'une des industries stratégiques de l'économie américaine du XXIe siècle.
Bill Gates, par arrogance ou par inconscience, semble avoir cru que les lois qui avaient mené jadis aux démantèlements des trusts du pétrole ou du téléphone avaient été rendues caduques, à la fois par la révolution électronique, dont sa compagnie a été un des principaux acteurs, et par le rejet du rôle de l'Etat rendu responsable, aux Etats-Unis comme ailleurs, de tous les maux, quand il n'est pas méprisé comme un anachronisme pesant. C'était oub