Delambre et Méchain, les arpenteurs célèbres à qui l'on doit la mesure du méridien de Paris, ont-ils pique-niqué pour fêter l'événement lorsqu'ils se sont retrouvés en 1798, après sept ans d'efforts, quelque part du côté de Carcassonne, l'un venant du Nord, l'autre du Sud ? Ils auraient pu, le terme de «repas à pique-nique» est apparu en 1740, selon le Robert, «nique» désignant alors une «petite chose sans valeur». Leur travail monumental ayant eu pour principale conséquence d'en finir avec l'anarchique système de mesures de l'Ancien Régime et de définir le mètre-étalon de la France révolutionnaire, on pourrait dire que «l'incroyable pique-nique», qui prétend rassembler aujourd'hui quatre millions de Français de Dunkerque à Prats-de-Mollo, est à bien des égards symbolique. Symbolique d'une France unifiée et éclairée, citoyenne et conviviale. Il n'a sans doute pas échappé non plus aux promoteurs de cette fête champêtre la Mission 2000 que la métaphore sociale serait complète si cet unanimisme de circonstance se faisait autour d'un pilier de la culture française : la cuisine, le plus matériel des arts, pour célébrer la plus matérielle des sciences, la géodésie. L'an dernier, à même époque, le pays s'équipait de lunettes noircies pour observer une éclipse de soleil que quelques charlatans de malheur reliaient au siècle finissant et aux peurs millénaristes.
Aujourd'hui, avec l'enthousiasme des commencements, et malgré la défection de la météo, le même pays déroule la nappe et