Agnès Fine est anthropologue et historienne, professeur à l'université de Toulouse-Le Mirail, spécialiste des filiations et de la parenté. Elle revient sur la «culture du secret» autour de l'adoption.
Comment expliquer que la réforme de l'accouchement sous X déclenche de telles passions en France?
Ce qui se joue actuellement, c'est la rupture avec le modèle de la substitution: des formes de filiation comme l'adoption et l'Insémination avec donneur (IAD) étaient pensées comme des substituts à la défaillance de la procréation naturelle. On faisait tout pour éliminer les géniteurs. C'était dit tel quel par les décideurs: «Les mesures prévues doivent assurer la rupture totale entre l'adopté et ses parents d'origine.» (1) Pendant un temps, l'adoption était faite dans le secret, les enfants ne devaient et ne pouvaient savoir qu'ils avaient été adoptés. Aujourd'hui, plus aucun parent adoptif ne soutiendrait ça, mais pour les enfants nés par IAD, cela reste vrai: tout a été organisé pour qu'ils ignorent leur conception. Dans les mentalités et la législation, l'idée persiste que l'adoption est une substitution, une renaissance gommant le passé. La possibilité d'établir un acte de naissance où il serait écrit «enfant né de... et adopté par...», celle d'ajouter le nom adoptif à celui d'origine, fait bondir la majorité des adoptants. Le droit qu'ont les parents adoptifs depuis 1949 (loi du 23 avril) de changer le prénom me semble également très révélateur de cette idée qu'on fabrique une