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Libération

Marie Ndiaye «Sur le mode du silence»

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publié le 13 avril 2001 à 0h28

«J'avais 17 ans, j'écrivais depuis toujours; les photocopies étaient chères, il me restait un seul manuscrit, je suis allée dans une librairie regarder les livres, ceux de Minuit m'ont bien plu, j'ai envoyé Quant au riche avenir à Jérôme Lindon. Dès le lendemain, il a téléphoné à ma mère, il lui a donné rendez-vous le jour suivant pour me faire signer le contrat, j'étais mineure. A midi, le samedi, il est venu me chercher à la sortie du lycée Lakanal à Sceaux, il disait que cela ne le dérangeait pas car il allait chaque semaine marcher dans le parc. Je n'étais pas tellement impressionnée, lui un peu, tout cela me paraissait naturel, dans l'ordre des choses puisque j'ignorais tout de tout. Intimidée, oui, un peu; lui avait bien plus conscience que moi de l'exceptionnel de la situation. Je me souviens que dans l'ascenseur qui montait chez ma mère il m'a dit avoir lu quelques pages de mon livre à Beckett, qui lui firent bonne impression. Il a toujours parlé de Beckett comme d'un premier amour dont il ne s'est jamais vraiment remis. Jérôme Lindon m'a refusé mon deuxième livre, Comédie classique [un roman d'une seule phrase d'une centaine de pages, ndlr]; il m'a semblé qu'il avait une idée précise de ce que devait être un deuxième roman, et que ce n'était pas tout à fait ça. Il était mal à l'aise, ça s'est plutôt mal passé. Je suis allée le proposer à P.O.L. qui l'a publié. Jérôme ne m'en a pas voulu. Ensuite, je suis revenue chez Minuit, c'est une maison unique, à part sans être