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Libération

Taliban de Belleville

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publié le 19 septembre 2001 à 0h51

Peut-être eût-il fallu lui dire, à ce jeune homme qui pénétra vendredi avec quelques amis dans ce restaurant de Belleville, que sa méthode, pour libérer une table, n'était pas appropriée? Avec dans l'oeil une lueur facétieuse qui démentait toute entreprise de prosélytisme, louchant sur nos cafés et plantant dans l'allée ses vingt ans, son type «maghrébin» et sa dégaine d'étudiant laïque, il venait de décréter, mi-blague, mi-provoc': «Je suis taliban.» Comment lui expliquer que, taliban étant le pluriel de taleb (étudiant en théologie, en arabe), son incorrection était d'abord grammaticale? Quatre vigilants passaient devant l'établissement, mais ils ne comptent pas, dans l'histoire; ils n'étaient pas à cran, ils patrouillaient sereins, comme on avait dû leur dire de faire, et nul ne songea à leur livrer, aux fins de lynchage sur le trottoir, le jeune homme, qui était également calme. Toute la salle dut l'entendre, mais hormis une minuscule crispation, derrière lui, sa proposition ne fit pas réagir. Et nous non plus ne réagîmes pas, ou si peu. On se regarda tous, mon commensal et moi, et ses amis à lui aussi. Il flotta très brièvement comme un soupçon de malentendu. Mais dans cette foule et à cette heure, personne ne songea sérieusement à suggérer au jeune homme que la Ben Laden Incorporated n'était pas le meilleur ami des Palestiniens, par exemple. La soirée était trop douce, que le jeune homme aura à peine troublée. Mardi, chez le Darty proximal, tel vendeur pouvait sourire