La scène se passe à Paris en mai 68. Des gauchistes énervés en maraude dans Saint-Germain-des-Prés toisent une Rolls Royce garée le long d'un trottoir et s'en prennent illico à ce symbole patent du grand capital, la cabossant comme il faut. Cette automobile était celle d'Yves Saint Laurent qui aurait alors réagi comme suit: «Faut-il qu'ils ignorent qui je suis pour agir ainsi...» Révolutionnaire, Saint Laurent le fut en effet autant que les jeunes gens de 68 qui ignoraient sans doute que la manière dont ils étaient habillés devait peu ou prou au style Saint Laurent qui fut tout autant un état d'esprit qu'une collection de vêtements. De fait, quelques mois plus tard, les déjà «anciens» de 68 revêtiront parkas, tuniques indiennes transparentes, chemises roumaines brodées, pantalon de treillis et vareuse de l'armée, vestes afghanes en peau de bique retournée et sabots suédois, autant dire une silhouette militaro-ethnique unisexe à vocation protestataire.
Le prolo et l'aristo
Or, cette contestation vestimentaire, Yves Saint Laurent l'avait déjà abondamment explorée dans ses collections d'avant-68, et largement développée ensuite. Quant au féminisme, il y avait belle lurette aussi qu'il avait imposé le pantalon pour la femme active, la débarrassant de tout ce qui, de la taille aux épaules, pouvait empêcher son avancée pressée. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer à la diable, rien n'est plus étranger au monde d'Yves Saint Laurent que la bourgeoise et le style mémère afférent.