Pourquoi le sociologue de la domination symbolique est-il arrivé à occuper brièvement, autour de 1995, une position dominante dans le débat public? De quelle nature est le pouvoir (chaire au Collège de France, revue, collections dans l'édition, disciples...) d'un pourfendeur des pouvoirs? Comment quelqu'un qui n'aime pas les médias qui ne l'aiment pas non plus, arrive-t-il à se faire entendre par le plus grand nombre? On a évoqué un «système-Bourdieu», et une manière de fédérer les énergies, pour les faire tourner en machine de guerre. Et on a cité la fidélité à toute épreuve de ses quelques disciples: Patrick Champagne, théoricien des sondages, Loïc Wacquant, à cheval entre la France et les Etats-Unis, l'historien Christophe Charle ou l'anthropologue Louis Pinto, tous collaborateurs réguliers de la revue Actes de la Recherche en sciences sociales, où ils ont pris la relève des anciens cofondateurs de 1975, tous brouillés avec Pierre Bourdieu, plus ou moins violemment et depuis longtemps.
Séparations. Avant d'avoir des disciples et de faire école, Bourdieu a eu des collègues et des amis, des égaux en somme, avec qui le souci des avancées communes dans une discipline en pleine expansion a primé pour un temps sur les problèmes de transmission, d'héritage ou de préséance. Ce n'est qu'à partir d'une visibilité grandissante de l'oeuvre de Bourdieu que les problèmes ont commencé, avec une série impressionnante et douloureuse de déchirements, de séparations et de guerres intesti