«Je te hais, moi non plus» : ainsi fut, à peu de choses près, la relation unissant Pierre Bourdieu et la télévision. Il a entretenu avec elle une détestation bruyamment manifestée, une aversion scientifiquement et littérairement étayée, mais aussi une fascination déçue, une relation passionnelle et fantasmatique, faite de manoeuvres d'approche, de clins d'oeil intéressés, de timides apparitions puis de claquements de porte tonitruants et de longues bouderies.
Malaise. La saga «Bourdieu contre les médias» connaît une brutale accélération dans l'après-mouvement de décembre 1995. Cette tension engendrera une «galaxie» antimédiatique virulente, emmenée entre autres par le journaliste du Monde diplomatique Serge Halimi, auteur des Nouveaux Chiens de garde, et par le cinéaste Pierre Carles, réalisateur de Pas vu pas pris. L'exemple le plus symptomatique du «cas télévisuel Bourdieu» se déroule le 23 janvier 1996 à Arrêt sur images, l'émission de décryptage des médias de Daniel Schneidermann, sur La Cinquième. Le chercheur a été outré par la couverture du mouvement des cheminots par les médias, selon lui trop partiaux, inégalitaires et pro-Juppé. Sur le plateau, en face de Bourdieu, il y a Jean-Marie Cavada, qui représente France 3, et Guillaume Durand, chargé de défendre TF1. Le débat tourne au dialogue de sourds. A une question anodine de Pascale Clark, qui coanime alors l'émission, Bourdieu répond par un long silence, comme paralysé. «Je ne sais pas si je dois répondre...» Pour lu