Au début, ils n'ont pas remarqué que le bateau bougeait. Shanaz, ses deux enfants, Qahir et Sunita, et son beau-frère de 14 ans, Fared, se sont installés tout près des deux autres familles l'une iranienne, dont le dernier enfant est né à Calais, l'autre irakienne : une mère et ses trois filles autorisées à rejoindre l'Angleterre. «Nous devons rester ensemble car nous sommes des réfugiés», avait décrété la mère iranienne, en embarquant sur le ferry qui relie Calais à Douvres.
Affalée sur un fauteuil, non loin des hublots, Shanaz est d'abord occupée à regarder une feuille de papier blanc, où sa photographie a été agrafée et un visa pour l'Angleterre imprimé. Elle tient entre ses mains ce laissez-passer fabriqué pour les circonstances. Sésame officiel pour la Grande-Bretagne. Puis la jetée et le phare et le port et bientôt la ville s'éloignent. Fared dit en anglais «bye, bye, Sangatte». Shanaz sourit. Ce matin, quand elle a su qu'elle partait, elle a mis du rouge à lèvres. Fared se colle aux vitres. La mère irakienne, debout à côté de ses filles, pleure en silence. Puis elle récite des prières, tout bas. Ses filles sont joyeuses : elles visitent le ferry, font semblant d'essayer des machines à sous, et quand la télévision passe des tubes, elles les chantent toutes les trois par coeur.
«Venez voir.» Fared emmène tout le monde sur le pont. «On voit Sangatte.» Et c'est vrai. On aperçoit les toits brique du village, la route et la colline où se trouve le camp. «Quand j'étais là-