En qualifiant le projet de Constitution européenne de «totalement insatisfaisant», le Vatican a recouru à un langage inhabituellement polémique chez des spécialistes de l'euphémisme. Il faut n'y voir rien de moins que le signal d'une de ces batailles diplomatiques d'envergure où la curie excelle. Quelques jours plus tard, le pape a exigé publiquement que la future Constitution de l'Europe porte mention de ses «racines chrétiennes». Ces quelques mots, qui peuvent paraître d'une importance simplement décorative, trahiraient pourtant le devoir de neutralité qu'on est en droit d'attendre d'une déclaration juridique.
Seul un dément pourrait nier que l'histoire européenne a été profondément influencée par le christianisme dans ses divers rameaux, orthodoxe, catholique ou protestant. Ce n'est pas une raison pour inclure une référence à ces derniers dans une Constitution. D'abord, ces «racines» sont à tout le moins judéo-chrétiennes et les juifs ont payé assez cher (notamment dans les plaines polonaises) pour qu'on ne les oublie pas. Une telle mention exclusive serait aussi une preuve d'intolérance à l'égard des millions de musulmans qui vivent désormais dans les pays européens ou pour les croyants de toute autre obédience. En outre, en guise de «racines», il conviendrait aussi de mentionner la libre pensée et son enracinement dans la culture grecque. Après tout, une tradition presque trimillénaire d'athéisme est une particularité européenne qu'aucune autre culture ou civilisation