Les foules énormes qui convergent vers Kerbela témoignent de la puissance de l'oppression baassiste qui les bâillonnait. Et ce pèlerinage, qui aurait des allures presque insurrectionnelles s'il n'était pacifique, montre l'ampleur des aspirations au changement auxquelles la victoire américano-britannique a ouvert les vannes. Dans la réinvention matérielle et institutionnelle de l'Irak qui doit maintenant avoir lieu, la question chiite sera la principale. Parce que les chiites sont majoritaires en Irak, mais aussi parce qu'ils sont les plus défavorisés, ceux pour qui un retour à un minimum de prospérité générale est le plus urgent.
Quel que puisse être le nouveau pouvoir de Bagdad, il est acquis qu'il devra tenir compte de ce fait massif : un tiers état séculairement marginalisé (par les Ottomans ou les Britanniques avant Saddam Hussein) est devenu un acteur politique qui ne rentrera pas dans ses foyers pour seulement quelques gratifications. La tentation d'imiter le grand voisin iranien et sa révolution islamiste ne pourra pas ne pas exister. On a vu en Iran à quels extrêmes de régression sociale pouvait mener cette doctrine quand elle parvenait à mobiliser des masses de croyants prolétarisés. En Irak, une telle dérive poserait du même coup la question de sa coexistence avec les Arabes sunnites (qui chercheront à retenir tout ce qu'ils pourront de leur pouvoir), voire avec les Kurdes (aux partis politiques sécularistes).
Parmi les contre-vérités les plus éhontées répandues par