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Libération
Éditorial

Naissance.

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publié le 9 décembre 2003 à 2h15

Si, pour certains de ses acteurs, Mai 68 a commencé dans les pavés de Marx ou les manifs contre la guerre au Vietnam, pour d'autres ­ en fait, beaucoup ­, il a aussi germé dans les chansons de Bob Dylan ou des Rolling Stones, dans les poèmes de Rimbaud ou les brûlots situationnistes. Pour Bertolucci, ce fut à la Cinémathèque parisienne. Pourquoi pas ? D'ailleurs, le 14 février 1968, quand Malraux fait donner les CRS au palais de Chaillot, les étudiants garçons envahissent le pavillon des filles à la cité universitaire de Nanterre pour protester contre la non-mixité. Ils n'en sortiront plus. Que ce lieu de naissance de Mai soit désigné par un cinéaste qui, de film en film, a cherché les grands points de rupture de notre modernité pourrait être pris comme un seul hommage narcissique ou sentimental. Il signifie surtout la confiance subversive que Bertolucci continue d'attribuer au cinéma, malgré sa massification marchande, et à l'art en général. On a dit souvent que Mai 68 n'a pas produit de grande oeuvre. Sans doute terrassés par l'utopique universalité de slogans comme «l'imagination prend le pouvoir», beaucoup ont attendu longtemps avant d'oser se lancer. Mais, peu à peu, un iceberg émerge, qui agrège surtout romans et films, sans les confondre, comme autant de visions fractales d'un même événement, surgissant d'une longue macération, très rarement troublée par le remords ou le reniement. Plus qu'une révolution, Mai 68 fut avant tout une libération, une explosion des carcans