Bernardo Bertolucci avait beaucoup tourné autour de Mai 68, mais en évitant de s'y frotter. Prima della Rivoluzione (1964), qui a transporté une génération, venait avant ; le Dernier Tango à Paris après, même si le film en recueillait le plus sulfureux. Pendant 68, le cinéaste tournait à Rome, loin des pavés. Ensuite, il raconta d'autres histoires (1900 et la naissance du communisme italien, le Dernier Empereur et le destin tragique de Pu Yi), mais semblait s'être éloigné de son propre cinéma et de sa jeunesse rebelle.
Enfin, donc, on allait voir «le film sur Mai 68». The Dreamers (Innocents) déçoit-il ces attentes ? On n'y voit qu'un ou deux drapeaux rouges, le bref extrait d'un discours de Pompidou et une manif finale. Pourtant, The Dreamers est bien le premier film de fiction important sur 68. Parce qu'il ne reconstitue pas naïvement les barricades, mais déplace le questionnement. Bertolucci trouve à Mai 68 une origine : c'est le cinéma qui a lancé le mouvement ; le film lui donne aussi une finalité : Mai 68, c'est la découverte du corps, le sexe initié et révélé ; et lui insuffle de l'esprit : Mai 68, c'est une jeunesse insolente qui dévore la vie sans culpabilité ni remords. En ce début de millénaire qui sent la revanche, le retour aux valeurs et la critique des «illusions soixante-huitardes», cette «défense et illustration» est plus qu'un événement : elle fait du bien.
The Dreamers commence donc à la Cinémathèque en février 1968. Le 9, Malraux, ministre de la Culture, a