Depuis la plus haute antiquité, des rives du fleuve Jaune à celles du Nil ou du Rhône, l'Etat a joué sa légitimité sur sa capacité à organiser le combat des hommes pour se protéger de la colère des divinités fluviales et à gérer les fluctuations d'un ciel qui, tantôt ferme trop les vannes et dessèche la terre, tantôt les ouvre sans retenue, jusqu'à l'inonder. Des empires ont été ensevelis sous les sables ou la forêt pour n'avoir pas su garder la maîtrise des eaux.
En nos temps moins héroïques, ronds-de-cuir et politiciens réagissent aux catastrophes en commandant des études. Après la crue du Rhône de 1994, ils en ordonnèrent une. Le cours majestueux de la bureaucratie étant infiniment plus lent que celui des fleuves, elle ne fut lancée qu'en 1999 et achevée fin 2002, huit ans et plusieurs inondations après. Depuis, elle a connu le sort d'autres études, et a pris la poussière dans un ministère. Elle eût été mieux employée à prévenir, d'Arles en Aramon, des malheurs que ses pages et cartes prévoyaient, analysaient, expliquaient en détail. Elle aurait pu contribuer à éclairer les populations riveraines sur la réalité d'inondations inéluctables, et les initier à «une véritable culture du risque». Elle aurait aidé chacun, de Paris aux Saintes-Maries, à se convaincre que rien ne peut se faire en ce domaine sans intervention du pouvoir central, qui seul rassemble l'expertise et les moyens considérables nécessaires à la gestion d'un grand fleuve. Mais nous sommes tellement inondés d'