Bagdad envoyé spécial
Le légendaire lion de Babylone, que l'on peut voir dans l'ancienne capitale du roi Nabuchodonosor, n'a jamais révélé son énigme : qui est l'homme qu'il terrasse et broie de ses mâchoires, cette victime impuissante qui, pourtant, résiste, une main écartant les pattes griffues, une autre repoussant son mufle diabolique? Dans cette allégorie de la bête imposant sa violence, des intellectuels irakiens ont reconnu la lutte désespérée des peuples de Mésopotamie, écrasés, de l'Antiquité à aujourd'hui, par les tyrannies les plus brutales. Saddam Hussein fut l'héritier de ces prédateurs. Sa spectaculaire emprise sur un pays, comme sa cruauté extrême et sa folle mégalomanie, ne peut guère se comprendre qu'au regard de l'histoire millénaire de la «terre entre les fleuves».
«Je vois le sang ruisseler des turbans»
Naguère familier du régime et, à ce jour, le meilleur biographe du raïs, l'historien palestinien Saïd Aburish fait ce constat : «L'individu Saddam est sans doute unique, voire diabolique, mais il est aussi un véritable fils de l'Irak. Et l'usage même qu'il fait de la violence pour parvenir à ses fins n'est pas une caractéristique strictement personnelle, mais plutôt un trait déplaisant du peuple irakien que l'histoire n'a fait que renforcer.» Saddam Hussein aimait l'histoire. Comme tous les élèves irakiens, il a appris par coeur la déclaration du conquérant musulman al-Hadjadj al-Thaqafin à ses sujets de Najaf en 694 : «Je vois devant moi des têtes mûres pour