Deux grands écrivains martiniquais, l'aîné Edouard Glissant, prix Renaudot 1958 avec la Lézarde, auteur de Tout-monde, et le cadet Patrick Chamoiseau, prix Goncourt 1992 avec Texaco, ont envoyé mardi soir une lettre ouverte au ministre de l'Intérieur, qui s'apprêtait à partir pour la Martinique. Ils y racontaient leur «vieille terre d'esclavage, de colonisation et de néocolonisation». Ils disaient que cette terre leur avait enseigné «l'échange et le partage» et expliquaient que la loi du 23 février n'était pas «concevable». Quelques heures plus tard, Sarkozy annulait son voyage.
Comment analysez-vous la décision du ministre de l'Intérieur d'annuler son voyage aux Antilles ?
Edouard Glissant. Il ne connaît pas très bien les Antilles, et il a sans doute sous-estimé la situation actuelle dans ces îles. La loi du 23 février a blessé beaucoup d'Antillais. Ils ont fortement réagi. Quand on vit aux Antilles, on vit au milieu des traces de la colonisation, des temps de l'esclavage et de la traite des nègres. Dans mes livres, j'évoque souvent les cyclones. Quand un cyclone est passé, que voit-on ? Dans les fonds, les habitations des noirs sont détruites, sur les hauteurs celles des colons ont tenu debout. C'est une trace réelle de la colonisation. Mais cela ne doit pas crisper les esprits. La question est comment construire les maisons. Dans les années 50, on a vu venir des architectes de Paris, qui n'ont pas su écouter la vieille sagesse des Antillais. Eux savaient qu'il fallait const