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Libération
Interview

«On commémore tout et n'importe quoi»

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publié le 24 avril 2006 à 21h01

Henri-Pierre Jeudy est philosophe, auteur du Désir de catastrophe. Dans le cadre d'un voyage de travail, il a visité le sarcophage et la zone d'exclusion l'été dernier.

Vous dénoncez la mise en scène commémorative des vingt ans de Tchernobyl. Pourquoi ?

La commémoration est un acte de production de consensus, tout le monde est d'accord pour commémorer Tchernobyl. On commémore tout et n'importe quoi. On peut même se demander si ce n'est pas l'acte de commémorer qui fait notre seule présence au monde actuel. L'hystérie contemporaine du devoir de mémoire est devenue une négation du temps présent. Le message est simple : avec Tchernobyl, le pire est arrivé et il ne devrait plus se reproduire. Mais la commémoration est-elle le meilleur moyen de conjurer les catastrophes à venir ? Commémorer, c'est une manière de gérer le temps des émotions collectives. Une fois le jour historique passé, on n'y pensera plus. Chaque année, il y a un programme de commémorations. Mozart, Tchernobyl... et bien d'autres. Comment les différencier ?

Se souvenir de Tchernobyl, c'est se souvenir que le nucléaire est dangereux. N'est-ce pas utile ?

Tchernobyl est certes un grand symbole de la catastrophe nucléaire. Mais on vit maintenant dans un état postcatastrophique, dans l'expectative de nouveaux désastres, comme si nous étions tous des survivants. On prête à la commémoration un rôle moral, comme si l'exemple devait servir pour rappeler le sens des responsabilités humaines pour l'avenir. Mais cette atmosphè