C'était il y a mille ans. Disons en 1987. Libération vient d'emménager rue Béranger, dans un ancien parking transformé en immeuble à travailler. Il est tôt, le matin. C'est le premier jour. Dans leur casier, les journalistes ont une mallette noire avec le plan de leurs nouveaux locaux et trois ou quatre petites choses qui disent l'importance de l'heure. Nous venons de la rue Christiani, de la rue de Lorraine, de la rue de Bretagne. De nulle part, presque. Nous venons d'endroits clos. Et voilà cet immeuble, au petit jour, cet espace immense, cette moquette bleue, ces bureaux, ces fenêtres par dizaines, cette terrasse magique qui surplombe Paris. Les couloirs sont déserts. Personne encore. Seul Serge July, sur la terrasse, qui contemple la ville comme une pyramide. «Tu te rends compte, le chemin parcouru ?» demande-t-il au nouveau venu. Il est tout content, tout fier, tout neuf. Il est juste ému comme il faut. Il raconte que la Poste a accepté d'offrir au journal un numéro de téléphone qui se termine par 1789. «C'est dingue non ? Place de la République et 1789 !» Il descend ce que nous appellerons bientôt «la vis», ce lieu de la rumeur, ce couloir qui serpente d'étage en étage du garage jusqu'au toit. Il accueille les arrivants avec un sourire large. Il montre les plateaux d'un grand revers de main. Il marche comme à la victoire. Il fume en plissant les yeux. Il est Woodward, Bernstein, la une du Washington Post. Il est Serge July. «Ça ressemble vraiment à un journal non ?» Il
Portrait
C'était il y a mille ans...
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par Sorj CHALANDON
publié le 30 juin 2006 à 21h37
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