En distinguant les Bienveillantes de Jonathan Littell, les Goncourt saluent une forme d'exploit. Rarement un premier roman aussi volumineux aura provoqué un tel raz de marée avant même tout couronnement. Le sujet, l'envergure que lui donne l'auteur, malgré une facture classique et des clichés regrettables, le mélange de sérieux historique et de fantaisie romanesque, ou encore le choix de la langue française, ajoutent à la performance. Jonathan Littell est bien parti, bien que ce soit rarement un cadeau d'avoir le Goncourt dès les lignes de départ.
Les Bienveillantes ne suscitent pourtant pas que de l'admiration. Il y a çà et là de la complaisance autour du thème central du roman, la fabrication d'un bourreau. Le cinéaste Claude Lanzmann, l'auteur de Shoah, reproche même au jeune écrivain d'avoir renversé les rôles en faisant raconter l'Histoire à un SS sans mémoire. S'il ne peut laisser indifférent, le roman crée un vrai malaise. Pourquoi une telle fascination pour le tortionnaire ? Par saturation des récits de victimes ? Parce que c'est finalement du côté du bourreau qu'il faut chercher de nouvelles explications à la barbarie et surtout à sa permanence ? Que Jonathan Littell ait sillonné pour une ONG le Rwanda et la Tchétchénie massacrés n'est sans doute pas étranger à son intérêt pour ce qui reste comme le modèle absolu de l'extermination. Comme lui, les nouvelles générations restent sidérées par l'énigme de l'inhumanité. Il est impossible de s'identifi